mercredi 11 février 2015

 


La prescription de Susplugas

 

Pour la seconde fois, la Galerie Valérie Bach expose, les œuvres de Jeanne Susplugas. L’artiste, qui vit actuellement à Paris, a réalisé ces dernières années une série d’œuvres exprimant l’enfermement sous toutes ses formes.

 

Depuis les années 90, Jeanne Susplugas questionne le rapport individuel aux maux de la société contemporaine, ses dérives, ses faux-semblants, cette hypocrisie du mieux occultant un pire, et qui ne tient jamais ses promesses.

Jeanne Susplugas - courtesy Galerie Magda Danysz - Les Bains - photo  Stephane Bisseuil (2)

 

Tout son œuvre met en scène le malaise social physique et psychique en en dénonçant la banalisation et l’apparente négation de ses ravages. Dans une prise d’otage permanente, l’artiste situe le spectateur dans un voyeurisme contraint, le mettant au centre d’un univers dont les échelles ont changé, témoin complice de ses propres faiblesses : recours compulsif aux drogues, blancheur d’une saveur absente et désirée, contact existentiel à des volumes uniformes, à des lignes de fuites sans avenir, à de coupantes arêtes, aux matériaux déprimés, monochromes et mornes.


 

Le traitement préconisé par l’artiste face à ce malaise est précisément la dénonciation du traitement pharmaceutique de l’existence, l’aveu de cette chirurgie esthétique de l’âme que traduit le refus de l’individuation du malaise social, cette phobie de la maladie qui n’en est que la conséquence, et la négation du culte de la santé à tout prix. Cette prescription se fait en négatif. Par son œuvre qui impose le silence, c’est à la couleur, à la sensualité et à la vie qu’appelle Jeanne Susplugass.

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Son travail qui allie la performance, la vidéo, le dessin, la sculpture et l’installation, s’attache également à traiter le langage dans la mise en exergue lumineuse de mots choisis, forts de significations, qui accompagnent l’œuvre générique toute faite de sobriété plastique et poétique. Derrière cette façade lisse et immaculée du monde médical, se dissimule un souci artificiel de bien-être qui n’est pas synonyme d’« être bien ».

 

En convoquant un univers maladif et froid Jeanne Susplugas cache une réalité faite de souffrance, d’angoisse et d’aliénation.
 
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Au fil de son travail, la plasticienne se lance dans l’exploration du corps en tant que sujet d’enfermement, la boîte étant chez elle un thème récurrent. La mise en boîte de ses contemporains les confronte à la réalité d’une société qui a fait le choix du conditionnement – au sens pavolvien du terme -  produisant des êtres empaquetés, étiquetés, réduits au rang de consommateur-produits, ouvreurs et fermeurs de cartons. Ses travaux traduisent tous une réflexion sur les comportements de la déchéance sociale, sur la dérégulation de l’être au profit de l’avoir, sur le danger d’être moi avant d’être soi.

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Grâce à la dérision, au cynisme et à l’apparente simplicité esthétique de ses œuvres, l’artiste nous amène à poser un regard critique sur nous - mêmes. Dépendance, asservissement, accoutumance, Jeanne Susplugas nous renvoie finalement, tel un miroir, à l’introspection de notre propre mal-être.


Dans une dialectique enfantine autour du jeu, du monde en petit, des maisons habitables, des églises de papier, des Merveilles d’Alice et de son pays enchanté, se niche une interrogation terrible sur la peur, cette peur viscérale et irrépressible, qui conduit le spectateur à déambuler dans un monde horrifiant, car froid, glacial, inanimé, dématérialisé.

 

L’exposition s’articule autour de l’installation « All the World’s a Stage »,  titre faisant référence au célèbre monologue de William Shakespeare « As You Like It » où ce dernier compare la vie à une pièce de théâtre. Les performances organisées occasionnellement autour de celle-ci  se font écho de la thématique intrinsèque au titre.

 

Les installations vidéo et le jeu des acteurs autour de la composition architecturale en carton captent l’attention du visiteur et ne font que renforcer le processus artistique de Jeanne Susplugas, alliant attirance et oppression. En effet, après un sentiment de familiarité et de sécurité, surgit une dérangeante sensation de cloisonnement et de sujétion au joug social.

 

Citant implicitement les mondes de Hitchcock, de Caroll et de King, l’œuvre de Jeanne Susplugas s’installe et s’imprime dans les méandres tortueux de notre psychisme malade et subverti d’homme contemporain, projetant ce dernier vers des horizons sans ligne, des cieux sans voûte, des surfaces sans texture, telle la page blanche et immaculée d’un cerveau atone, siphonné de toute empreinte de la douce réalité.