jeudi 17 février 2011

Faut-il restituer les frises du Parthénon ?

Ce texte a été écrit dans le cadre du colloque sur le même sujet organisé par le Centre Jean Gol à Bruxelles le 28 novembre 2009.

Faut-il restituer les frises du Parthénon ?







Innombrables sont les éléments de réponse en faveur ou contre cette proposition. Une foule de critères sont de nature à apporter une réponse à cette question précise qui touche, plus génériquement, à la problématique universelle de la propriété des objets d’arts. A qui appartient le patrimoine artistique ? A l’humanité ? A la nation qui l’a vu naître ? A son dernier propriétaire, fut-il illégitime ? A celui qui l’a sauvé de la ruine définitive ? A celui qui le conserve, l’expose, l’étudie et le promeut ?

En fait, il n’y a pas de réponse tranchée à cette question. Il s’agit, chaque fois, d’un cas particulier.

A l’analyse, il semble cependant, sans vouloir trancher définitivement cette vaste question, qu’une série de critères objectivables peuvent être retenus.


Nous commencerons par essayer de les identifier. Nous passerons ensuite à quelques exemples.

1. La nature du bien
Est-il un bien meuble ou immeuble ? Est-il symbolique, décoratif, utilitaire, cultuel, civil … ? En clair, l’appropriation par autrui du bien considéré le dénature-t-il ou dépareille-t-elle un ensemble ? L’obélisque de Louxor à la Concorde, les frises du Parthénon, les bouddhas khmers du Musée Guimet sont clairement arrachés à leur fonction première et leur disparition dénature, frelate, dépareille un ensemble immobilier auquel ils appartiennent. On qualifie alors ces biens meubles d’immeubles « par destination » (leur origine a pour DESTINATION l’immeuble pour lequel ils sont créés) ou « par incorporation ». Par essence, un bien meuble a vocation à bouger. Son appropriation est donc davantage dans la NATURE de l’objet. On n’imagine pas s’approprier aussi facilement le buste de Nefertiti que la Grand Pyramide…

2. La significativité du bien
Le bien culturel considéré a-t-il une importance significative dans la production artistique dont il provient ? Est-ce un unicus, un objet unique, ou existe-t-il des multiples ? Si la réponse est qu’il en existe des multiples, son appropriation par autrui n’est pas aussi dommageable, dès lors qu’il est toujours possible de le remplacer par un autre bien similaire ou apparenté.

3. Le mode d’appropriation
Le patrimoine a-t-il été acquis de façon licite ou illicite ? Est-il le résultat d’une aliénation volontaire de la part de son dernier propriétaire ou lui a-t-il été subtilisé par la force ou par vol ? Ce mode d’appropriation « marque » le bien culturel de manière quasi génétique. La légitimité de sa propriété est dès lors avérée ou contestée… Innombrables sont les cas d’origine de propriété douteux qui obligent, dans certains cas, la restitution du bien à son légitime propriétaire. Un des problèmes de la récente dation Janssen, en Belgique, était spécifiquement lié à l’origine des pièces précolombiennes constituant la collection.

4. L’identité du propriétaire
Le propriétaire a-t-il une « moralité » opposable, c’est-à-dire : est-on en droit d’attendre de lui le respect d’une éthique ? S’il s’agit d’un Etat, d’une institution, d’un musée public, la collectivité est naturellement en droit d’attendre de ces propriétaires l’application d’un code éthique absolument irréprochable. Dans le cas d’un propriétaire privé, on est parfois et malheureusement très déçu de constater que cette éthique n’a pas cours et qu’au contraire, c’est parfois le manque d’éthique qui est à l’origine de la propriété…

5. Le mode de monstration
Lié à l’identité du propriétaire, le mode de monstration va définir pour l’objet une façon « d’être au monde ». Le public peut-il se l’approprier sans difficulté, est-il accessible, gratuitement ou contre paiement d’une somme ? Si par contre, l’objet est jalousement gardé dans un salon privé voire une chambre forte privée, on peut supposer que la restitution sera plus difficile bien que plus souhaitable…

6. La fortune critique de l’œuvre, son histoire propre
La propriété considérée a-t-elle ajouté un supplément d’âme à l’objet, lui a-t-elle permis tout simplement de survivre à la destruction ? La porte d’Ishtar de Babylone au Musée d’art oriental de Berlin aurait certainement disparu dans les guerres qui ont marqué l’Irak, ces dernières années. Cela suffit-il aujourd’hui pour en réclamer la propriété irréversible ? Tout l’art africain fait majoritairement de bois aurait certainement fondu sous l’action des termites si on l’avait laissé sur son sol natal…
Certaines œuvres ont été rendues célèbres par leur histoire propre. La Joconde n’aurait certainement pas cette incroyable notoriété si sa propriété n’avait été malmenée par un vol célèbre au début du siècle dernier… Devrait-elle être rendue à l’Italie ?

Toutes ces questions relèvent plus fondamentalement de la notion de portée universelle de l’art ? L’objet d’art, le bien culturel n’appartient-il pas d’abord à lui-même ? N’y a-t-il pas dans la vocation même de la production artistique, un appel au voyage, à l’échange, à la communication et à la délocalisation ?

La notion de droit de propriété ne s’applique pas de la même façon à une voiture ou à un tableau. Dès sortie de la main de l’artiste, de son atelier, l’objet n’appartient plus à son créateur, il rejoint la grande partie du patrimoine de l’humanité entière… La seule question est de savoir qui le détient, par quels moyens et à quelles fins ?

Force est de reconnaître qu’aucune législation homogène ne vient soutenir les conservateurs de musées contre le trafic illicite des œuvres d’art qui constitue la première source d’argent sale après le trafic de drogue dans le monde.

Cependant les musées sont aussi responsables et doivent s’interroger. Il y a une forme de gloutonnerie dans l’activité de collection du musée… ? Collecter pour mettre en cave. Dans certains cas, il y a à souhaiter la restitution de certaines œuvres ou collections, lorsque l’on voit l’usage qui en est fait dans les musées… Raison pour laquelle la filialisation des marques de Musées dans le monde (Louvre, Guggenheim, Ermitage, etc…) est peut-être une bonne chose. Mais encore une fois, sous certaines conditions.


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