Le Grand Cinquantenaire, LE Musée européen des Civilisations qui manque à l'Europe ?
Quelle méthodologie d’analyse et de sélection pour quel
récit ?
Une culture européenne par essence unitaire et multiple à la
fois….
Recomposer et redéployer les collections d’un futur Grand
Cinquantenaire sous l’appellation descriptive de « Musée européen des
Civilisations – Grand Cinquantenaire » s’avère tout autant un acte
philosophique que politique, lourd de sens et de responsabilité.
Ce grand musée, issu des visées
universalistes du 19è siècle, convoquant au cœur de la capitale belge toutes
les civilisations du monde, dans le temps et dans l’espace – à l’exception de
l’Afrique qui se trouve à un ‘jet de tram’ à Tervueren – est désormais situé à
deux pas des institutions européennes elles-mêmes. Cette localisation indique
donc toute l’opportunité d’en faire le
seul musée de l’espace européen où il serait possible d’interroger l’Europe
d’un point de vue culturel.
Il n’en reste pas moins que s’interroger
sur l’identité culturelle européenne est un casse-tête… Il est rapidement
concevable qu’une telle tâche, destinée à clarifier un concept de culture
européenne aussi vaste que flou, peut s’avérer suicidaire, voire impossible.
Que dire alors d’un musée qui serait sensé répondre à cette question ?
Bien sûr, lorsqu’est posée la
question de l’existence et de l’essence-même d’une culture européenne, surgissent
immédiatement les grands fondements de cette culture, commune à l’ensemble de
l’espace européen, et partant à l’ensemble du monde occidental :
-
les bases antiques gréco-romaines, comprenant la
pensée philosophique aristotélico-platonicienne, les mythologies et les grands
récits épiques,
-
l’héritage biblique judéo-chrétien,
-
les Lumières, la démocratie, les Droits de l’Homme
et la laïcité.
Ces trois fondements constituent,
en effet, et sans contestation, les trois jambes de force de l’édifice européen
en matière culturelle, spirituelle et politique. Mais peut-on pour autant
rejeter les autres influences, suivant les localisations, tout aussi
fondatrices, que germaniques, celtiques, musulmanes, conduisant aux
particularismes bretons, basques, corses, catalans, etc… ? Les identités des
cultures constituant le grand amalgame, l’immense agrégat européen, de la Scandinavie
aux pourtours méditerranéens, ne sont-elles pas tout autant constitutives de
l’identité culturelle européenne ?
L’identité culturelle européenne
serait-elle donc faite de principes particuliers, locaux, régionaux,
additionnés à de grandes catégories communes, nées de la sédimentation des
traditions universelles des pensées antiques, médiévales et modernes ?
Mais alors comment donner de cette identité une définition claire, commune et
complète ? Cela paraît en effet impossible…
Une question ouverte
Poser la question de la culture
et des cultures européennes, c’est par essence poser des questions ouvertes
sans réponses figées… Poser la question de l’Europe des cultures et celle de la
culture européenne, c’est y répondre. C’est, en effet, dans la question
que s’élabore la réponse : la culture européenne est une question posée,
ouverte dont le seul sens est celui de l’interrogation. Interroger la culture
européenne c’est être au cœur- même de la question pour mieux la résoudre, pour
construire une réponse, à mesure que s’élabore l’interrogation.
La culture européenne, depuis
l’Antiquité, résulte d’une réflexion sur elle-même, d’un retour sur ses propres
valeurs, certitudes ou errements. Ulysse se confronte à la complexité du monde,
en-deçà de la compréhension que peuvent en avoir les dieux de l’Olympe, pour
mieux appréhender ce monde, pour en percer le mystère et en apprendre, par
l’expérience vécue, par la souffrance ou par le succès, l’intime secret.
La culture européenne est
essentiellement habitée par le doute, la contradiction et la contestation. Elle
réside précisément dans le fait même de poser la question de la culture, de la réfléchir
et de la critiquer, de la relativiser et, partant, de l’universaliser. Car il
n’y a aucune réponse figée et limitative, qui puisse fixer l’identité
culturelle européenne dans le récit d’un musée, d’un livre ou d’un traité.
L’objectif donc du « Musée européen des Civilisations / Grand
Cinquantenaire », serait donc, en creux ou en relief, suivant des
thématiques transversales, d’interroger l’Europe des Cultures et les Valeurs de
la Culture européenne, au départ des collections du Musée, en laissant les
réponses à la libre interprétation de chaque individualité. Qu’il vienne de
l’Europe ou d’ailleurs, qu’il soit du nord ou du sud, chrétien, juif, musulman
ou athée, qu’il soit jeune ou vieux, homme ou femme,… le visiteur serait amené
à être confronté à des questionnements transversaux, génériques, traversant les
collections de part en part, sur la base d’une thématique choisie, d’un fil
conducteur.
Par exemple, comment me situer au
cœur d’une question telle celle de la mort et de la maladie, lorsque je
découvre comment cette question est traitée en Europe, depuis l’Antiquité
jusqu’à nos jours, mais aussi dans les autres civilisations du monde ?
C’est dans cette question et dans la réponse qu’y apporte l’universelle
humanité que se situe la posture culturelle européenne. Peu importe la réponse,
en fait.
De la singularité des cultures du monde entier, à l’universalité de la Culture européenne, il appartient à l’Europe de se remettre en question, d’acquérir cette réflexivité critique qui lui vient de son universalité: universalité des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés fondamentales, universalité de l’évangélisation, d’abord, de la laïcité, ensuite, et surtout, universalité de la diffusion des savoirs et progrès techniques, des connaissances scientifiques et du rationalisme expérimental, etc… Comment appréhender cette universalité sans la remettre en cause ?
De la singularité des cultures du monde entier, à l’universalité de la Culture européenne, il appartient à l’Europe de se remettre en question, d’acquérir cette réflexivité critique qui lui vient de son universalité: universalité des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés fondamentales, universalité de l’évangélisation, d’abord, de la laïcité, ensuite, et surtout, universalité de la diffusion des savoirs et progrès techniques, des connaissances scientifiques et du rationalisme expérimental, etc… Comment appréhender cette universalité sans la remettre en cause ?
Le danger de l’ethnocentrisme est de penser cette universalité en
principe préalable à toute fondation ou analyse culturelle, en évidence, en
axiome ou en hypothèse généralisée… Le
relativisme culturel est le devoir même auquel doit s’atteler un musée européen
des civilisations. Au risque, sinon, de s’enfermer dans la certitude mortifère
et réductrice de sa propre définition.
Il revient donc à l’Europe, par principe et par tradition, de se remettre sans cesse en question : c’est ce qui fonde même l’idée de progrès. Depuis sa plus tendre enfance, l’Europe connaît révolution politique, révolution scientifique, révolution industrielle, révolution intellectuelle et culturelle. C’est parce qu’elle s’interroge que l’Europe évolue, progresse et finalement s’universalise. L’Europe est révolutionnaire, parce qu’elle est en elle-même une certaine conception de l’histoire et du progrès.
Qu’est-ce donc que l’Europe en un mot ? C’est un certain type de
rapport à la tradition, c’est une attitude par rapport à ce qui est établi.
La remise en question est le moteur premier de la culture européenne… Au regard
des autres civilisations du monde, c’est dans la contestation de la tradition
que s’ancre l’idéal européen de culture et donc de progrès. C’est Prométhée qui
vole le feu aux dieux. C’est la pomme du jardin d’Eden. C’est Icare et son
expérience fatale…
Ce rapport à la tradition est
tout à la fois réflexif et critique, libre et contestataire, avec une
conscience historique forte, faite de l’importance du passé au titre constitutif
du présent, et de la responsabilité de la tâche de l’avenir, la nécessité de se
réinventer sans cesse.
Dans un Musée européen des civilisations, il y aurait donc deux façons
de trahir ce qui précède : figer l’Europe dans une identité culturelle limitative
(dire ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas, dans un discours aboutissant à
une définition close) et la noyer dans une addition de cultures régionales ou
nationales.
L’Europe de la Culture ne peut être ni une Europe qui muséalise des cultures-traditions, ni une construction sur une hypothétique identité culturelle figée. La Culture européenne est un principe à la fois de singularité et d’universalité, elle est la vie de l’esprit.
La Culture européenne n’est pas
l’addition de cultures-patrimoines-traditions nationales et régionales,
appelées diversité culturelle ou, pire, multiculturalisme. Elle n’est pas cette
diversité culturelle, additionnée d’une culture européenne commune qui serait,
elle aussi, comme un particularisme dans la culture mondiale… La culture
européenne n’est pas un patrimoine ou une tradition, c’est une dynamique, un
processus qui archive et qui réinvente, c’est un moyen plutôt qu’une fin, une
faculté de critiquer et de réfléchir le passé pour mieux concevoir l’avenir, la
Culture européenne, c’est l’esprit de la question, de la contestation, de
la révolution et de la réinvention.
Constantin Chariot
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