La prescription de Susplugas
Pour la seconde fois, la Galerie Valérie Bach expose, les œuvres de
Jeanne Susplugas. L’artiste, qui vit actuellement à Paris, a réalisé ces
dernières années une série d’œuvres exprimant l’enfermement sous toutes ses
formes.
Depuis les années 90, Jeanne Susplugas questionne le rapport individuel
aux maux de la société contemporaine, ses dérives, ses faux-semblants, cette
hypocrisie du mieux occultant un pire, et qui ne tient jamais ses promesses.
Tout son œuvre met en scène le malaise social physique et psychique en
en dénonçant la banalisation et l’apparente négation de ses ravages. Dans une
prise d’otage permanente, l’artiste situe le spectateur dans un voyeurisme
contraint, le mettant au centre d’un univers dont les échelles ont changé,
témoin complice de ses propres faiblesses : recours compulsif aux drogues,
blancheur d’une saveur absente et désirée, contact existentiel à des volumes
uniformes, à des lignes de fuites sans avenir, à de coupantes arêtes, aux
matériaux déprimés, monochromes et mornes.
Le traitement préconisé par l’artiste face à ce malaise est précisément
la dénonciation du traitement pharmaceutique de l’existence, l’aveu de cette
chirurgie esthétique de l’âme que traduit le refus de l’individuation du malaise
social, cette phobie de la maladie qui n’en est que la conséquence, et la
négation du culte de la santé à tout prix. Cette prescription se fait en
négatif. Par son œuvre qui impose le silence, c’est à la couleur, à la
sensualité et à la vie qu’appelle Jeanne Susplugass.
Son travail qui allie la performance, la vidéo, le dessin, la sculpture
et l’installation, s’attache également à traiter le langage dans la mise en
exergue lumineuse de mots choisis, forts de significations, qui accompagnent
l’œuvre générique toute faite de sobriété plastique et poétique. Derrière cette
façade lisse et immaculée du monde médical, se dissimule un souci artificiel de
bien-être qui n’est pas synonyme d’« être bien ».
En convoquant un univers maladif et froid Jeanne Susplugas cache une
réalité faite de souffrance, d’angoisse et d’aliénation.
Au fil de son travail, la plasticienne se lance dans l’exploration du
corps en tant que sujet d’enfermement, la boîte étant chez elle un thème
récurrent. La mise en boîte de ses contemporains les confronte à la réalité
d’une société qui a fait le choix du conditionnement – au sens pavolvien du
terme - produisant des êtres empaquetés,
étiquetés, réduits au rang de consommateur-produits, ouvreurs et fermeurs de
cartons. Ses travaux traduisent tous une réflexion sur les comportements de la
déchéance sociale, sur la dérégulation de l’être au profit de l’avoir, sur le
danger d’être moi avant d’être soi.
Grâce à la dérision, au cynisme et à l’apparente simplicité esthétique de
ses œuvres, l’artiste nous amène à poser un regard critique sur nous - mêmes.
Dépendance, asservissement, accoutumance, Jeanne Susplugas nous renvoie
finalement, tel un miroir, à l’introspection de notre propre mal-être.
Dans une dialectique enfantine autour du jeu, du monde en petit, des maisons habitables, des églises de papier, des Merveilles d’Alice et de son pays enchanté, se niche une interrogation terrible sur la peur, cette peur viscérale et irrépressible, qui conduit le spectateur à déambuler dans un monde horrifiant, car froid, glacial, inanimé, dématérialisé.
L’exposition s’articule autour de l’installation « All the World’s a
Stage », titre faisant référence au
célèbre monologue de William Shakespeare « As You Like It » où ce
dernier compare la vie à une pièce de théâtre. Les performances organisées
occasionnellement autour de celle-ci se
font écho de la thématique intrinsèque au titre.
Les installations vidéo et le jeu des acteurs autour de la composition
architecturale en carton captent l’attention du visiteur et ne font que
renforcer le processus artistique de Jeanne Susplugas, alliant attirance et
oppression. En effet, après un sentiment de familiarité et de sécurité, surgit
une dérangeante sensation de cloisonnement et de sujétion au joug social.
Citant implicitement les mondes de Hitchcock, de Caroll et de King,
l’œuvre de Jeanne Susplugas s’installe et s’imprime dans les méandres tortueux
de notre psychisme malade et subverti d’homme contemporain, projetant ce
dernier vers des horizons sans ligne, des cieux sans voûte, des surfaces sans
texture, telle la page blanche et immaculée d’un cerveau atone, siphonné de
toute empreinte de la douce réalité.
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