Exposition - vente "La Résistance des Images", à la Patinoire Royale, jusqu'au 30 septembre 2015
Commissariat général: Jean-Jacques AILLAGON, assisté de Guillaume PICON
Le lieu et le projet
La
Patinoire Royale est une galerie d’art émanant d’une initiative privée, organisant
des expositions – ventes temporaires d’une durée de quatre mois environ. Ces
expositions ont pour ambition de faire retour et d’interroger les soixante
dernières années de la scène artistique européenne, que ce soit des arts
plastiques ou du design.
Ce
faisant, la Patinoire Royale poursuit un double but: celui de répondre à la
demande pédagogique croissante d’un public toujours plus friand de comprendre
le contexte actuel de l’art contemporain en percevant mieux l’histoire récente
de l’art moderne. Le deuxième but est de permettre au public des amateurs et
des collectionneurs de s’approprier en l’achetant une œuvre d’art présentée
dans un contexte muséal.
En
quelque sorte, la Patinoire Royale peut être considérée comme un lieu de
culture, à l’exigence muséale, où tout serait à vendre. Cet hybride constitue
un « unicus » dans le paysage culturel belge et européen. La vente
des œuvres en ses murs permet d’équilibrer les budgets et de créer une dynamique
dans la poursuite de ses projets et la programmation des expositions futures.
Le propos de l’exposition
En
1964, à la Biennale de Venise, le peintre américain Robert Rauschenberg
remporte le prix de la Biennale pour ses compositions innovantes et
particulièrement abstraites. Pour les peintres français de l’époque, tous
attachés à la figuration, cette victoire constitue une menace. Tous sont des
artistes engagés politiquement, jeunes et contestataires, et n’entendent pas de
se faire déposséder du principal médium de leur engagement que constitue
l’image. Rassemblés autour de la figure de Gérald Gassiot Talabot, brillant
critique et commissaire d’exposition, ces peintres français (ou travaillant en
France, en provenance de pays divers) décident de se mettre en mouvement lors
d’une exposition manifeste organisée en 1964 au Musée d’Art Moderne de la Ville
de Paris. Plus qu’un mouvement homogène, la ‘Figuration narrative’ telle qu’ils
qualifient leur rassemblement, est davantage l’addition d’individualités
artistiques très diverses, partageant cependant la commune envie de défendre
l’image et son rôle narratif dans la création de l’époque.
L’exposition
‘La Résistance des Images’ présente un ensemble de près de 170 œuvres des
artistes de cette mouvance artistique. Certains en furent les ténors
fondateurs, d’autres s’en réclament à distance. La présente exposition les
rassemble ici dans une visée muséale et patrimoniale des œuvres en provenance
directe des ateliers des artistes ou de leurs ayant droits, peu ou jamais vues
du public. L’exposition a également comme objectif d’exhumer de ce passé récent
des talents plus confidentiels, qui ont vécu parfois trop longtemps à l’ombre
des « grands ».
Une
liste de prix est disponible à l’accueil de la Patinoire, en consultation libre.
Quatre
thèmes structurent l’exposition, qui se visite au départ de la tour d’escalier
au centre de la nef en direction de la galerie Valérie Bach.
1.
La mythologie de la
vie quotidienne
Le succès du Salon
des arts ménagers illustre l’élan consommateur qui s’est emparé des Françaises
et des Français. Fréquenté chaque année par plus de 900 000 visiteurs, le Salon
quitte le Grand Palais en 1961 pour s’installer dans le tout nouveau Centre des
nouvelles industries et technologies (Cnit) de La Défense. Là, sous une voûte
en béton armée de 22 500 m2 sont exposés appareils et
ustensiles qui constituent autant de reflets d’une époque placée sous le signe
de la nouveauté, de l’hygiène, de la qualité de vie, du confort et du loisir.
Un an plus tard, le Salon l'automobile quitte, à son tour, le Grand Palais pour
s’installer au Parc des expositions de la porte de Versailles. L’automobile,
symbole d’indépendance et de liberté, y attire, chaque année, près d’un million
de visiteurs.
Cette offre
pléthorique de produits de consommation est, à la fois, relayée et entretenue
par une publicité omniprésente. Ainsi, que ce soit « en vrai » ou en
images, les objets investissent le quotidien dans toutes ses dimensions, de
l’intime au professionnel. Riches de significations, ils constituent, comme l’a
montré Roland Barthes, une nouvelle mythologie. Tenaillés par une insatiable
soif de consommation, les individus, ne songeant plus qu’à satisfaire leurs
besoins, rivalisent en quelque sorte avec les dieux et héros des anciennes
mythologies grecque et romaine. Des artistes ont choisi rendre compte de cette
nouvelle réalité. Dotées d’une forte charge critique, leurs œuvres démontent
les apparences, pour, au-delà, interroger, sinon soumettre à la question, la
société de consommation.
2.
Sex and love
La révolution
sexuelle et la libéralisation des mœurs ne datent pas de Mai 68. En réalité, l’une
et l’autre sont en route depuis le début des années 1960. La marche est longue
tant une chape de plomb moral recouvre les sociétés occidentales. L’élan
modernisateur des Trente Glorieuses semble s’être limité à la sphère
économique… Les relations sexuelles avant le mariage sont interdites et il
n’est pas rare que les jeunes femmes enceintes soient renvoyées par leurs
employeurs ! La contraception n’en est alors qu’à ses balbutiements. Ainsi,
en France, ce n’est qu’en 1967 que la loi Neuwirth autorise la pilule
contraceptive depuis 1967.
Le Mouvement du 22
mars, à l’origine des « événements de Mai 68 », est né sur le campus
de Nanterre où les étudiants ont interdiction, le soir, de rendre visite aux
étudiantes. Les tenants de l’ordre moral condamnent alors la mixité des sexes
hors l’empire du mariage et de la cellule familiale. Aussi, l’amour et le sexe
occupent-ils une place importante dans les slogans scandés par les étudiants. « Faites l’amour, pas la guerre » et « Jouir
sans entraves » sont encore dans les mémoires.
Gérard SCHLOSSER, Tu la vois toi l'alouette ?, 1976, Acrylique sur toile sablée, 120 x 120 cm |
Jacques MONORY, Exercice de style n° 3, 1967, Huile sur toile, 110 x 110 cm |
3.
L’Engagement
politique et l’idéal révolutionnaire
Dans les années 1960,
la peinture d’histoire qui a triomphé au XIXe siècle est largement discréditée
par l’usage qu’en ont fait et en font, encore, les régimes totalitaires.
Représenter des événements contemporains renvoie, alors, à une pratique d’un
autre temps, celle des peintres du XIXe siècle, qualifiés avec mépris de
« pompiers ». Seuls les tenants du réalisme socialiste semblent prêts
à s’y risquer. Pourtant, dans des sociétés où les images règnent sans partage,
qu’il s’agisse d’images publicitaires, de photographies ou de reportages
d’actualités, le désir d’une peinture d’histoire engagée – et pourquoi pas
d’avant-garde ? – est partagé par de nombreux d’artistes.
Il est vrai que les
guerres coloniales leur fournissent un sujet idéal. La dénonciation de
l’impérialisme devient un impératif artistique promis à un bel avenir, les
États nouvellement indépendants restant étroitement liés aux puissances
coloniales d’hier... Pour bon nombre d’artistes, l’impérialisme n’est rien
d’autre qu’un nouvel avatar du fascisme.
En témoigne le Grand Tableau antifasciste collectif
(1960) auquel participent Erró
et Recalcati. Sept ans plus tard, à La Havane, cent artistes, parmi lesquels
Arroyo, Erró,
Monory, Rancillac, créent, à l’initiative de Wifredo Lam, l’immense Mural Cuba Colectiva. Les
« événements de mai » sont déjà dans l’air et les quelques semaines
où la Sorbonne est occupée sont pour les artistes l’occasion de constituer un
atelier populaire et de lancer, en guise de pavés, des sérigraphies passées à
la postérité pour leur insolence, souvent, aussi juste qu’efface.
Mai 68 ne se limite
pas à la France, loin s’en faut. Le Printemps de la jeunesse – à défaut d’un
véritable « Printemps des peuples » – se propage au-delà du bloc
occidental. Le « tout est politique » des étudiants contestataires
est en passe de devenir une norme. Aussi, l’époque est-elle aux débats
politiques. La contreculture qui dénonce l’ordre établi avec, à sa tête,
l’État, rencontre un écho auprès des jeunes générations. Il n’est que de songer
au succès de La Société de consommation de
Jean Braudrillard, véritable manifeste de la contreculture édité en 1970, ou à
l’influence du Éros et civilisation
d’Herbert Marcuse, appel à une société non répressive, lancé en 1958. Les
livres valent que si on en sort. L’engagement est alors synonyme d’action,
parfois même de violence. La modération n’est pas à l’ordre du jour. L’art sera
engagé ou ne sera pas !
Ivan MESSAC, Vive la vie !, 1976, Acrylique sur toile, 150 x 170 cm |
4.
La citation à
l’histoire
Cherchant tous à
résister par l’image face au danger de l’abstraction, les peintres de la
figuration narrative (ou assimilés au mouvement) se réclament de la filiation
des grands maîtres de la peinture occidentale. Aussi n’est-il pas rare que,
fiers de cet héritage dont ils affirment être les derniers tenants, ces
artistes fassent citation des monstres sacrés tels que Rembrandt, Velasquez,
Goya, Manet, Léger ou Picasso, reprenant à leur compte leurs inventions, leur
rendant hommage ou subvertissant en toute irrévérence leur message et leur
technique.
Alain JACQUET, Déjeuner sur l'herbe, 1964, Sérigraphie sur toile, diptyque, 175 x 195 cm |
Cette citation
s’inscrit également dans la démarche historique pleinement assumée des
mouvements de gauche. L’histoire est en marche et est un éternel
recommencement. L’art qui en rend compte doit également en faire la citation.
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