La Culture sauvera l’Europe de la barbarie!
Plaidoyer pour l'affirmation de l’identité culturelle européenne.
Dessin de Haddad, Liban, 2015 |
La mort récente d’Umberto Eco, « le plus lettré des rêveurs »,
plonge l’Europe dans le désarroi et nous rend tous orphelins. La mort de ce
grand européen nous rappelle à un devoir. Les attentats
qui viennent de frapper la capitale européenne aussi.
Face aux
extrémismes et au radicalisme, la question de l’identité culturelle européenne
devient aussi limpide que sa réponse et son enseignement urgents et
indispensables. Alors qu’un terrorisme religieux ultra-violent s’est désormais
invité à la table du monde, la noirceur de la barbarie dessine subitement plus
nets les traits du visage culturel européen. Mais à quoi ressemble exactement
ce visage ?
Force est
de constater que depuis le début de la construction européenne, la question
d’une Europe culturelle en fut le parent pauvre. Au sortir de la guerre, ne fallait-il
pas aplanir le terrain propice à la croissance de l’olivier de la paix ?
On se contenta donc de rapprocher les peuples sur les questions
socio-économiques, et la question de l’identité culturelle européenne resta
dans les limbes.
Cependant
un « marché commun culturel européen» deux fois millénaire existe. Il
se présente comme une unité inscrite dans la diversité, il affiche le paradoxe
de la coexistence, en son sein, de la multiplicité et de l’universalité. Et
tant mieux!
La
matrice culturelle européenne trouve ses fondements partagés dans l’héritage antique gréco-romain,
générateurs des systèmes philosophiques platonicien et aristotélicien, ainsi
que dans le contenu judéo-chrétien de la Bible et du message évangélique.
A ces deux socles - antique et biblique - s’ajoute l’apport déterminant
des Droits l’Homme et des Lumières, inscrivant la laïcité républicaine au cœur
même de la définition européenne.
Contester ce triple fondement revient à nier l’Europe elle-même. A ces
trois jambes de force sont venus s’ajouter tous les brassages culturels de
l’histoire : l’apport celtique, enrichi, dès le IIIème siècle,
des apports arabo-andalous et germaniques, sans oublier les influences culturelles
africaine, asiatique et américaine. L’héritage de l’Islam s’est quant à lui inscrit
en creux dans la matrice culturelle européenne, dès le VIIème siècle jusqu’à
Poitiers, et ensuite à partir du XIXème siècle, avec la colonisation et
l’immigration.
L’Europe n’est pas une puissance militaire, industrielle ou politique. Et
en tant qu’acteur économique, son modèle social semble battre de l’aile, ses
valeurs politiques sont mises à mal par la poussée des populismes, sa structure
institutionnelle, elle-même, se délite. Territorialement, l’Europe est
minuscule. Mais sa culture a fécondé une grande partie du globe, dans tous les
domaines. La seule véritable identité de l’Europe est donc d’être une culture.
Mais l’Europe est
aujourd’hui incapable de se définir elle-même culturellement. Par peur de
choquer ou de discriminer, elle a pris le parti du relativisme et du multiculturalisme,
quand elle ne choisit pas l’autodénigrement, la repentance culpabilisante ou le
reniement démagogique …
La peur que génère l’afflux d’immigrés en
Europe crée un fort sentiment de repli identitaire. Il participe simplement
d’une crainte de la différence, d’une xénophobie. Nous avons peur de ces
réfugiés en ce qu’ils pourraient remplacer notre culture par la leur. Raison de
plus pour affirmer les principes de notre civilisation européenne, pour mieux
définir ce que l’Europe peut apporter à ces nouvelles identités venues de
l’immigration.
Travaillons sans relâche contre la
déréliction de la culture européenne, sacrifiée sur l’autel de la bassesse, de
l’intérêt financier et de l’américanisation.
Le football, le vedettariat, la publicité,
la mode et la violence sont autant de sous-produits de notre société
contemporaine européenne qui savonnent la planche des jeunes générations en vue
d’une noyade inévitable dans l’océan de la médiocrité et de la vacuité. Eco dit :
« Lorsque l’homme cesse de croire en Dieu, ce n’est pas qu’il ne croit
alors plus en rien, il croit en n’importe quoi »…
Notre devoir est donc, à la suite
d’Umberto Eco, d’œuvrer à un sursaut des consciences à l’endroit de ce trésor
dont les richesses se perdent et se dénaturent.
L’abandon dans les écoles de
l’apprentissage musical et des langues dites mortes, la suppression du cours de
musique individuel dans les académies de musique (Paris), l’enseignement
carentiel de l’histoire et de l’histoire des arts, l’abandon des arts de la
parole par les instances de subvention, l’endémie financière de la production
d’auteur, la misère organisée du monde de la création artistique, la mort programmée
de la presse écrite et des maisons d’édition,… sont autant de signes
avant-coureurs d’un échec civilisationnel.
Avant de fabriquer des citoyens
consommateurs, sportifs, matérialistes et technologiques, dociles et décérébrés,
il importe d’abord et avant tout de mettre au monde des sujets pensants, capables
de hiérarchiser les valeurs, en reliant entre elles les composantes culturelles
de l’Europe, dans leur diversité et leur polyvalence, dans une perspective
d’ouverture à l’autre.
La culture doit cesser d’être considérée
comme un passe-temps, se développant dans l’espace interstitiel entre
enseignement et emploi. Elle est non seulement le sel de la vie, mais le
bouclier contre l’obscurantisme, le matérialisme et le terrorisme. La culture
rend heureux en ce qu’elle est connaissance. La connaissance éclaire l’être
humain et l’élève, depuis que les hommes sont nés à eux-mêmes.
L’Europe est malade de sa propre
indéfinition.
Il est donc temps que les états membres européens encouragent la réflexion
de ses artistes et de ses intellectuels afin de convaincre chacun que c’est l’enseignement
de la culture qu’il faut soutenir dans les choix de société. Au même titre que
la conscience écologique, et dans la même perspective, une nouvelle conscience
culturelle est à appeler de nos vœux. Les instances européennes seraient donc
bien avisées de créer d’urgence, à tous les niveaux de l’enseignement, un cours
de culture européenne, inscrit dans le tronc commun de l’enseignement obligatoire,
mixant arts et histoire, patrimoine, philosophies, histoire des religions, etc…
Car le matérialisme qui a tué Dieu fait de l’Européen encroûté dans la
matière un mécréant. Regardons-nous, Européens matérialistes et sans
spiritualité, et demandons-nous comment nous perçoivent les sociétés
théologiques. Elles n’ont plus aucun respect pour nous. Il est donc grand temps
de regagner notre respectabilité à travers un véritable combat pour une laïcité
républicaine, qui ne nie pas le fait religieux, mais le confine dans la sphère
privée, et affirmer les valeurs culturelles qui ont fait et font l’Europe. Notre
survie au cœur de l’Europe et le maintien d’une paix durable en dépendent.
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