Sculpting Belgium
La sculpture en Belgique durant les Trente Glorieuses 1945 - 1975
Exposition jusqu'au 23 décembre 2017
(visuels à la fin de l'article)
Contexte et remerciements
Attelé à ce projet depuis près de un an, j'ai eu énormément de plaisir à rencontrer les artistes, leurs enfants, leurs veuves, leurs veufs, dans une véritable enquête qui me conduisit d'atelier en atelier, découvrant bien souvent ces endroits puissants de la création, encore en activité, ou conservés en l'état depuis la mort de l'artiste, tels des sanctuaires, mais où tout chante encore l'inspiration et la passion, comme si l'artiste s'était absenté, et qu'il allait revenir.
Beaucoup d'émotion, donc, de belles rencontres, une véritable carrière à ciel ouvert de chefs d'œuvres, parfois, inexploités, oubliés... Ce commissariat fut sans conteste un temps fort de ma carrière à moi, en tant que commissaire, aidé par différentes personnes de bonne volonté. Je dois un remerciement particulier à Nicole d'Huart, conservateur honoraire du Musée d'Ixelles à Bruxelles, qui m'a aiguillé dans mes recherches et qui m'a véritablement servi de "passe-partout" dans mes pérégrinations belges, autour de ce thème attachant.
Valérie Bach et moi avons eu beaucoup de plaisir aussi à concevoir la scénographie, précieusement aidés par David Roulin et André Rodeghiero, du bureau Art and Build Architects, de Bruxelles.
Enfin, le catalogue a été publié, dans une version particulièrement prestigieuse et amplifiée, grâce au mécénat de la Banque Delen.
Que tous soient ici remerciés.
Enfin, le catalogue a été publié, dans une version particulièrement prestigieuse et amplifiée, grâce au mécénat de la Banque Delen.
Que tous soient ici remerciés.
Le génie créateur durant les Trente Glorieuses, un contexte unique et favorable
La Patinoire Royale a donc choisi de rassembler autour du titre « Sculpting Belgium » pas moins de
trente-deux artistes belges, majoritairement sculpteurs, des années 45 et
suivantes. Ces artistes ont tous, à leur façon, sculpté le visage de la
Belgique artistique de l’après-guerre. Si, de prime abord, cette sculpture
belge dont la sélection s’étend du début des années 50 à la fin des années 80,
présente un visage hétérogène car pluriel, difficilement réductible à un
mouvement ou à une esthétique, force est cependant de constater que certaines
lignes de force se dégagent : tout d’abord une puissance créatrice
absolument phénoménale, liée à la pensée artistique de cette après-guerre, où
les recherches formelles explosent, et avec elle l’exploration de nouveaux
matériaux, essentiellement l’acier et les plastiques.
Ce génie créateur qui prend possession de ces artistes se caractérise
ensuite par une immense liberté, un refus de répéter ce qui précède et, à
certains égards, une volonté de faire table rase de ce qui précède. La guerre a
constitué une rupture dans l’esthétique Art déco ; par trop apparentée aux
régimes fascisants, cette esthétique fait place à l’esthétique moderniste. Se
fait jour, alors, une volonté de pousser les recherches vers toujours plus de
minimalisme et d’abstraction, déjà annoncées en sculpture avant-guerre, en
Belgique, par Oscar Jespers, notamment.
C’est dans ce contexte, d’ailleurs pas seulement belge, mais européen,
occidental, que se développe cette scène
sculptée belge des années 50 et suivantes, aux mains de tout jeunes artistes,
la plupart nés dans les années 30. Ils ont, en effet, tous environ trente ans
dans ces fameuses fifties et, fait
nouveau, les femmes prennent rang dans cette génération d’artistes. Tapta, Hilde
Van Sumere, Antonia Lambele font partie de ces premières sculptrices, souvent
marquées par leur sensibilité et la nécessité de s’affirmer dans ce monde éminemment
masculin du marbre et de l’acier.
La plupart fréquente les écoles d’art et se forme à la pédagogie
traditionnelle de l’art, pour ensuite s’en distancier.
A cette époque, institutions et galeries belges promeuvent leurs
artistes nationaux. Le Ministère de la Culture, encore unitaire, les représente,
tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Les acquisitions et les commandes
publiques ne sont pas rares. Les musées communaux, provinciaux et nationaux
constituent leurs collections en accompagnant la création par un soutien aux
artistes, via les commissions d’acquisition. De nouveaux musées voient le jour
ou s’agrandissent ; il y a une immense effervescence chez les artistes
comme chez les mécènes, privés ou institutionnels.
Ensemble, ils créent des réseaux d’amitiés réelles et sincères,
s’invitant mutuellement à visiter leurs ateliers ou à honorer de leurs
présences les vernissages des uns et des autres.
L’Histoire a qualifié de « Trente Glorieuses » ces années allant de 1945 à 1975, avec le passage à la société de consommation, marqué par la forte croissance d’une Europe qui, quarante ans après l’Amérique, découvre la machinisation, l’industrie de masse, le transistor, la télévision, etc….
L’Histoire a qualifié de « Trente Glorieuses » ces années allant de 1945 à 1975, avec le passage à la société de consommation, marqué par la forte croissance d’une Europe qui, quarante ans après l’Amérique, découvre la machinisation, l’industrie de masse, le transistor, la télévision, etc….
Une formidable dynamique
A bien y regarder, et pour synthétiser l’esprit qui règne alors dans
cette société de jeunes artistes, on peut retenir que rien ne leur paraît
impossible. Ils ont en main un nouveau destin pour cet art abstrait,
constructiviste qui a déjà, certes, connu quelques grandes figures avant la
guerre, mais qu’ils cherchent à pousser plus loin encore.
L’Exposition Universelle de 58 à Bruxelles, et l’architecture
internationale qui s’y illustre, venue de tous les coins du monde, porte en
elle cette incroyable conviction d’un progrès porteur d’espoir, à peine
dissipées les noirceurs opaques et terrifiantes de la guerre. Le béton armé et
précontraint révolutionne les portées, les aciers augmentent les possibles
résistances, les aluminiums et les verres étirés métamorphosent les façades, le
plexi offre des transparences nouvelles. Le modernisme bat alors son plein,
trouvant l’argument de son langage dans un fonctionnalisme qu’avait déjà
annoncé le Bauhaus. L’urbanisme se développe sur le modèle américain, Bruxelles
connaît les débuts de ce qui sera qualifié plus tard de « Bruxellisation »,
massacrant bien souvent son patrimoine au profit d’une architecture moderne qui
ne produira pas que des chefs d’œuvre. Les premières tours font leur apparition
dans le paysage de la ville, dans le quartier nord, le long de l’Avenue Louise
ou de la Petite Ceinture.
Chez les Belges, architectes ou sculpteurs, dans un enthousiasme sans
précédent, on conçoit pour cette exposition universelle le célèbre Atomium et
la Flèche du Génie Civil, prouesses architecturales et d’ingénierie jamais
égalées précédemment.
C’est donc dans cette ambiance, teintée de la naïveté entourant le
progrès comme facteur émancipateur de l’humanité, que s’expriment ces
sculpteurs. Ils portent en eux le rêve d’un monde nouveau où art et technique
marchent la main dans la main, dans une course effrénée vers la nouveauté, la
singularité et, en un mot, la beauté. Les jeux de plein et de vide, l’étirement
jusqu’à la rupture, la massification des volumes, les recherches poussées à
l’extrême dans les porte-à-faux ou dans l’empilement des charges, les
interrogations du volume, … sont autant de catégories de recherches souvent
cumulées qui passionnent ces artistes.
Durant trois décennies que l’on pourrait qualifier d’âge d’or de la
sculpture belge, ces sculpteurs, ces peintres aussi, jouent d’une expression
artistique nouvelle, réinventant les combinaisons de couleurs et de matières,
dans une absolue fantaisie qui n’ignore pas, toutefois, le talent et la
maîtrise technique.
La régionalisation
belge : le déclin et l’oubli
Arrivent ensuite les années 70, le premier choc pétrolier et les
premières fièvres de la régionalisation de l’Etat belge. En quelques années, la
Belgique se régionalise, remettant aux régions et aux communautés la charge des
matières dites « personnalisables », la culture et les arts,
notamment.
Subitement, et en moins de dix ans, tous ces artistes, de Belges, sont ainsi devenus Wallons, Bruxellois ou Flamands. Et c’est une véritable tragédie qui se joue alors sur la scène artistique belge. Les galeristes et les institutions se retirent dans leurs coquilles communautaires, les villes flamandes et wallonnes prennent leurs distances par rapport à Bruxelles, les artistes de cette génération, lentement, commencent à vieillir, et c’en est fini de la belle unanimité créatrice belge ! L’enseignement et la culture passant ainsi sous les coupoles communautaires, il n’y a plus d’échange entre les étudiants, pas davantage qu’entre les professeurs, chacun s’en retourne, qu’il le veuille ou non, à son particularisme local.
Subitement, et en moins de dix ans, tous ces artistes, de Belges, sont ainsi devenus Wallons, Bruxellois ou Flamands. Et c’est une véritable tragédie qui se joue alors sur la scène artistique belge. Les galeristes et les institutions se retirent dans leurs coquilles communautaires, les villes flamandes et wallonnes prennent leurs distances par rapport à Bruxelles, les artistes de cette génération, lentement, commencent à vieillir, et c’en est fini de la belle unanimité créatrice belge ! L’enseignement et la culture passant ainsi sous les coupoles communautaires, il n’y a plus d’échange entre les étudiants, pas davantage qu’entre les professeurs, chacun s’en retourne, qu’il le veuille ou non, à son particularisme local.
C’est là, dans ce mouvement centrifuge de la régionalisation de la
Belgique, que se situent les ferments de l’implosion de la scène artistique et
culturelle belge de la seconde moitié du XXème siècle. Imperceptiblement, les
commandes ralentissent, les commissions d’acquisition se fragmentent et se
noyautent, l’idéal national belge, si en pointe lors de l’Exposition
Universelle, se dissout lentement, les ambitions s’érodent, l’Etat désormais
fédéral n’a plus de mission culturelle, hormis à travers ses deux musées
royaux… Les participations à la Biennale de Venise se partagent désormais entre
Flamands et Wallons, tous les quatre ans, les maisons d’édition se positionnent
et se démarquent de part et d’autre de la frontière linguistique… La machine à produire et à promouvoir l’art
belge s’est volatilisée.
Comment expliquer autrement cette incompréhensible indifférence du
public belge et des collectionneurs internationaux à l’égard de cette sculpture
d’une infinie richesse et d’une force absolument incontestable ? Comment
comprendre que trop d’artistes ici présentés au sein de « Sculpting
Belgium » soient ainsi, à ce point, oubliés ?
Il suffit pourtant de citer
quelques sculptures emblématiques situées dans l’espace public pour entendre
ces noms souvent oubliés. Oui, il y a eu une sculpture belge promue au sein
même du pays et aussi à l’étranger. Mais elle a fini d’exister dans les années
80. Hormis quelques noms qui semblent rappeler quelque chose au plus grand
nombre, beacuoup de ces artistes remarquables ont été remisés dans l’ombre de
leurs ateliers, pour rejoindre hélas, dans la plus parfaite indifférence, et
avant la tombe, celle de l’oubli dans
laquelle ils étaient déjà relégués.
Aujourd’hui, alors que la plupart de ces sculpteurs sont décédés, cette
grande exposition sonne comme un appel de tous ces noms formant le véritable
panthéon belge d’artistes disparus. Voilà qu’enfin, ces artistes reviennent à
la lumière, sortant de l’oubli dans lequel les avait plongés une opinion
artistique publique belge bien souvent amnésique et ingrate.
Les ayants droit, veufs, veuves, enfants, proches et amis de ces
sculpteurs ont vu dans ce projet une ultime manière de réhabiliter, de
réintégrer in extremis leurs chers
artistes disparus, avec l’amertume d’un retard coupable. Ils y ont mis
l’enthousiasme du sentiment du devoir accompli, enfin, de cet hommage
finalement rendu à leur talent.
Car, à regarder comment les autres scènes nationales européennes et
occidentales ont valorisé leurs artistes de cette époque, il est à s’interroger
sur ce silence assourdissant, sur cette impardonnable indifférence qui
qualifient la « promotion par le vide », durant ces années et celles
qui suivirent, des artistes belges en général, et des sculpteurs, en particulier.
Tous ces fils et filles du pays, artistes dans l’âme, sont aujourd’hui,
par cette exposition, remis en lumière. « Sculpting Belgium » leur doit sa naturelle légitimité, tant il
paraît évident que leur soit enfin rendu hommage, largement, dans une vaste
revue de leurs productions individuelles.
Confrontant la sculpture avec quelques peintres dont la production éclaire par leurs couleurs les recherches esthétiques des sculpteurs, lesquels travaillent majoritairement des matières à la palette peu lumineuse, cette exposition a volontairement pris le parti scénographique d’une mise en valeur fifties / sixties, un peu comme si cet événement avait lieu dans les années où on l’aurait attendu. C’est ainsi donc un juste retour dans le temps et un juste retour, tout court, que de la proposer au public qui, nous l’espérons, réparera par sa visite une absence trop longtemps subie et impardonnable.
Confrontant la sculpture avec quelques peintres dont la production éclaire par leurs couleurs les recherches esthétiques des sculpteurs, lesquels travaillent majoritairement des matières à la palette peu lumineuse, cette exposition a volontairement pris le parti scénographique d’une mise en valeur fifties / sixties, un peu comme si cet événement avait lieu dans les années où on l’aurait attendu. C’est ainsi donc un juste retour dans le temps et un juste retour, tout court, que de la proposer au public qui, nous l’espérons, réparera par sa visite une absence trop longtemps subie et impardonnable.
ARTISTES PRESENTS A L'EXPOSITION
Marcel ARNOULD
Pol BURY
Pierre CAILLE
Gilbert DECOCK
André DEKEIJSER
Yves DE SMET
Reinhoud D’HAESE
Jan DRIES
Francis DUSEPULCHRE
André EIJBERG
Vic GENTILS
Jean-Pierre GHYSELS
Jo DELAHAUT
Monique GUEBELS-DERVICHIAN
Marie-Paule HAAR
Pal HORVATH
Oscar JESPERS
Jean-Paul LAENEN
Antonia LAMBELE
Walter LEBLANC
Jacques MOESCHAL
Félix ROULIN
Emile SOUPLY
Olivier STREBELLE
TAPTA
Camiel VAN BREEDAM
Jan VAN DEN ABBEEL
Guy VANDENBRANDEN
Hilde VAN SUMERE
Marc VERSTOCKT
Ferdinand VONCK
Exposition à voir à la Patinoire Royale jusqu'au 23 décembre 2017
Ouvert tous les jours du mardi au samedi, de 11 à 18 heures.
Catalogue en couleurs, 243 pages, 40 euros
Renseignements 00. 32. (0)2. 533. 03. 96
www.lapatinoireroyale.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire