vendredi 18 novembre 2016

De Fil(s) en Aiguille(s) - Joana Vasconcelos à la Patinoire Royale, du 22 novembre 2016 au 23 mars 2017


Pour la quatrième exposition depuis son ouverture, La Patinoire royale s’immisce au cœur de l’univers baroque et extraverti du sculpteur Joana Vasconcelos avec cette grande rétrospective, la première jamais organisée en Belgique, qui confronte le gigantisme du lieu au travail de cette artiste protéiforme. Joana Vasconcelos, la Portugaise née en France, fut la première - et à ce jour la seule -  femme invitée à Versailles en 2012 pour une exposition magique et festive. La plus jeune artiste ayant jamais exposé à Versailles investit aujourd’hui la totalité des espaces de la Patinoire à Bruxelles : la nef et sa fascinante charpente en bois, la galerie sous verrière et le Lab, espaces annexes situés au premier étage et au rez-à-rue.
 
Détail de "Material Girl", 2016


 
Empruntant à Jules Vernes cet univers peuplé de pieuvres et de créatures tentaculaires immenses, cette exposition est une plongée, Vingt Mille lieues sous les Mers, dans la féérie des couleurs, des formes et des matières de l’artiste. Jonglant avec les techniques de broderies, de dentelles, de crochets, de patchworks et de paillettes directement dérivées des Arts appliqués et de la pratique traditionnelle portugaise des travaux d’aiguilles, Joana Vasconcelos convie le spectateur au généreux banquet de la sculpture et de la peinture textile, sans modération, avec une gargantuesque  gourmandise artistique qui la caractérise.







Si le monde des paruriers, fournisseurs de grandes maisons de couture, a été qualifié à raison d’ « industrie du sourire » par sa capacité à apporter de la lumière, de la fantaisie et de la joie aux œuvres auxquelles il donne du brillant, c’est aussi avec un immense sourire que l’on aborde cette exposition rendant hommage à une création tellement féminine, incarnée dans des œuvres monumentales, mais également dans des productions beaucoup plus intimistes.

 
Joana Vasconcelos a transformé cette pratique de l’aiguille en pure expression artistique, parfois monumentale, où la démesure le dispute à l’excentricité, dans une recherche jamais démentie d’extravagance et d’excès, n’excluant ni finesse ni excellence.

Animaux et statues paraissent recouverts d’une mantille de dentelle tout en pudeur, conférant à leurs formes tellement familières des accents particulièrement doux et délicats, parfois inquiétants, mais toujours raffinés.

L’exposition intitulée à dessein « De fil(s) en aiguille(s) » invite le spectateur à se faufiler entre les bras d’une pieuvre géante, longue de plus de 25 mètres, pour ensuite se confronter aux « Douches », curieux assemblage de sculptures textiles et de miroirs, se laisser aspirer par les tableaux textiles « Crochet paintings », débordements incontrôlés de crochet hors cadre, et s’arrêter devant la sculpture monumentale « Petit Gâteau», constituée d’une myriade de petits moules à gâteaux.


Une telle exposition est une explosion de couleurs et de formes, une éruption de bonne humeur et d’insouciance, invitant le spectateur à une vaste fête de la perception, qui est aussi une réflexion sur les notions constitutives même de l’art : forme, couleurs, lignes, surfaces, textures, …

Emportant le visiteur dans une virevolte délirante d’exubérance, Joana Vasconcelos chante également toute la fantaisie dramatique d’un fado portugais.

mardi 22 mars 2016


La Culture sauvera l’Europe de la barbarie!

Plaidoyer pour l'affirmation de l’identité culturelle européenne.

Dessin de Haddad, Liban, 2015


La mort récente d’Umberto Eco, « le plus lettré des rêveurs », plonge l’Europe dans le désarroi et nous rend tous orphelins. La mort de ce grand européen nous rappelle à un devoir. Les attentats qui viennent de frapper la capitale européenne aussi.

Face aux extrémismes et au radicalisme, la question de l’identité culturelle européenne devient aussi limpide que sa réponse et son enseignement urgents et indispensables. Alors qu’un terrorisme religieux ultra-violent s’est désormais invité à la table du monde, la noirceur de la barbarie dessine subitement plus nets les traits du visage culturel européen. Mais à quoi ressemble exactement ce visage ?

 

Force est de constater que depuis le début de la construction européenne, la question d’une Europe culturelle en fut le parent pauvre. Au sortir de la guerre, ne fallait-il pas aplanir le terrain propice à la croissance de l’olivier de la paix ? On se contenta donc de rapprocher les peuples sur les questions socio-économiques, et la question de l’identité culturelle européenne resta dans les limbes.

 

Cependant un « marché commun culturel européen» deux fois millénaire existe. Il se présente comme une unité inscrite dans la diversité, il affiche le paradoxe de la coexistence, en son sein, de la multiplicité et de l’universalité. Et tant mieux!

 

La matrice culturelle européenne trouve ses fondements partagés dans l’héritage antique gréco-romain, générateurs des systèmes philosophiques platonicien et aristotélicien, ainsi que dans le contenu judéo-chrétien de la Bible et du message évangélique.

A ces deux socles - antique et biblique - s’ajoute l’apport déterminant des Droits l’Homme et des Lumières, inscrivant la laïcité républicaine au cœur même de la définition européenne.

Contester ce triple fondement revient à nier l’Europe elle-même. A ces trois jambes de force sont venus s’ajouter tous les brassages culturels de l’histoire : l’apport celtique, enrichi, dès le IIIème siècle, des apports arabo-andalous et germaniques, sans oublier les influences culturelles africaine, asiatique et américaine. L’héritage de l’Islam s’est quant à lui inscrit en creux dans la matrice culturelle européenne, dès le VIIème siècle jusqu’à Poitiers, et ensuite à partir du XIXème siècle, avec la colonisation et l’immigration.

L’Europe n’est pas une puissance militaire, industrielle ou politique. Et en tant qu’acteur économique, son modèle social semble battre de l’aile, ses valeurs politiques sont mises à mal par la poussée des populismes, sa structure institutionnelle, elle-même, se délite. Territorialement, l’Europe est minuscule. Mais sa culture a fécondé une grande partie du globe, dans tous les domaines. La seule véritable identité de l’Europe est donc d’être une culture.

Mais l’Europe est aujourd’hui incapable de se définir elle-même culturellement. Par peur de choquer ou de discriminer, elle a pris le parti du relativisme et du multiculturalisme, quand elle ne choisit pas l’autodénigrement, la repentance culpabilisante ou le reniement démagogique …

 

La peur que génère l’afflux d’immigrés en Europe crée un fort sentiment de repli identitaire. Il participe simplement d’une crainte de la différence, d’une xénophobie. Nous avons peur de ces réfugiés en ce qu’ils pourraient remplacer notre culture par la leur. Raison de plus pour affirmer les principes de notre civilisation européenne, pour mieux définir ce que l’Europe peut apporter à ces nouvelles identités venues de l’immigration.

 

Travaillons sans relâche contre la déréliction de la culture européenne, sacrifiée sur l’autel de la bassesse, de l’intérêt financier et de l’américanisation.

Le football, le vedettariat, la publicité, la mode et la violence sont autant de sous-produits de notre société contemporaine européenne qui savonnent la planche des jeunes générations en vue d’une noyade inévitable dans l’océan de la médiocrité et de la vacuité. Eco dit : « Lorsque l’homme cesse de croire en Dieu, ce n’est pas qu’il ne croit alors plus en rien, il croit en n’importe quoi »…

 

Notre devoir est donc, à la suite d’Umberto Eco, d’œuvrer à un sursaut des consciences à l’endroit de ce trésor dont les richesses se perdent et se dénaturent.

 

L’abandon dans les écoles de l’apprentissage musical et des langues dites mortes, la suppression du cours de musique individuel dans les académies de musique (Paris), l’enseignement carentiel de l’histoire et de l’histoire des arts, l’abandon des arts de la parole par les instances de subvention, l’endémie financière de la production d’auteur, la misère organisée du monde de la création artistique, la mort programmée de la presse écrite et des maisons d’édition,… sont autant de signes avant-coureurs d’un échec civilisationnel.

 

Avant de fabriquer des citoyens consommateurs, sportifs, matérialistes et technologiques, dociles et décérébrés, il importe d’abord et avant tout de mettre au monde des sujets pensants, capables de hiérarchiser les valeurs, en reliant entre elles les composantes culturelles de l’Europe, dans leur diversité et leur polyvalence, dans une perspective d’ouverture à l’autre.

 

La culture doit cesser d’être considérée comme un passe-temps, se développant dans l’espace interstitiel entre enseignement et emploi. Elle est non seulement le sel de la vie, mais le bouclier contre l’obscurantisme, le matérialisme et le terrorisme. La culture rend heureux en ce qu’elle est connaissance. La connaissance éclaire l’être humain et l’élève, depuis que les hommes sont nés à eux-mêmes.

 

L’Europe est malade de sa propre indéfinition.

Il est donc temps que les états membres européens encouragent la réflexion de ses artistes et de ses intellectuels afin de convaincre chacun que c’est l’enseignement de la culture qu’il faut soutenir dans les choix de société. Au même titre que la conscience écologique, et dans la même perspective, une nouvelle conscience culturelle est à appeler de nos vœux. Les instances européennes seraient donc bien avisées de créer d’urgence, à tous les niveaux de l’enseignement, un cours de culture européenne, inscrit dans le tronc commun de l’enseignement obligatoire, mixant arts et histoire, patrimoine, philosophies, histoire des religions, etc…

Car le matérialisme qui a tué Dieu fait de l’Européen encroûté dans la matière un mécréant. Regardons-nous, Européens matérialistes et sans spiritualité, et demandons-nous comment nous perçoivent les sociétés théologiques. Elles n’ont plus aucun respect pour nous. Il est donc grand temps de regagner notre respectabilité à travers un véritable combat pour une laïcité républicaine, qui ne nie pas le fait religieux, mais le confine dans la sphère privée, et affirmer les valeurs culturelles qui ont fait et font l’Europe. Notre survie au cœur de l’Europe et le maintien d’une paix durable en dépendent.

 Une version condensée de cet article a été publiée dans la Libre Belgique le 1er avril 2016  et est consultable à l'adresse http://www.lalibre.be/debats/opinions/face-a-la-terreur-repondre-par-la-culture-56fe832735708ea2d41d7fed