vendredi 13 juillet 2018

L’ESPRIT DE LA QUESTION


 
Alors que le sommet de l’OTAN se tenait il y a deux jours au Musée du Cinquantenaire à Bruxelles, se pose la question du devenir de ce grand musée… dans le contexte mondial et européen.

Le Grand Cinquantenaire, LE Musée européen des Civilisations qui manque à l'Europe ?

Quelle méthodologie d’analyse et de sélection pour quel récit ?

 

Une culture européenne par essence unitaire et multiple à la fois….

Recomposer et redéployer les collections d’un futur Grand Cinquantenaire sous l’appellation descriptive de « Musée européen des Civilisations – Grand Cinquantenaire » s’avère tout autant un acte philosophique que politique, lourd de sens et de responsabilité.

Ce grand musée, issu des visées universalistes du 19è siècle, convoquant au cœur de la capitale belge toutes les civilisations du monde, dans le temps et dans l’espace – à l’exception de l’Afrique qui se trouve à un ‘jet de tram’ à Tervueren – est désormais situé à deux pas des institutions européennes elles-mêmes. Cette localisation indique donc toute l’opportunité d’en faire le seul musée de l’espace européen où il serait possible d’interroger l’Europe d’un point de vue culturel.

Il n’en reste pas moins que s’interroger sur l’identité culturelle européenne est un casse-tête… Il est rapidement concevable qu’une telle tâche, destinée à clarifier un concept de culture européenne aussi vaste que flou, peut s’avérer suicidaire, voire impossible. Que dire alors d’un musée qui serait sensé répondre à cette question ?

Bien sûr, lorsqu’est posée la question de l’existence et de l’essence-même d’une culture européenne, surgissent immédiatement les grands fondements de cette culture, commune à l’ensemble de l’espace européen, et partant à l’ensemble du monde occidental :

-        les bases antiques gréco-romaines, comprenant la pensée philosophique aristotélico-platonicienne, les mythologies et les grands récits épiques,

-        l’héritage biblique judéo-chrétien,

-        les Lumières, la démocratie, les Droits de l’Homme et la laïcité.

Ces trois fondements constituent, en effet, et sans contestation, les trois jambes de force de l’édifice européen en matière culturelle, spirituelle et politique. Mais peut-on pour autant rejeter les autres influences, suivant les localisations, tout aussi fondatrices, que germaniques, celtiques, musulmanes, conduisant aux particularismes bretons, basques, corses, catalans, etc… ? Les identités des cultures constituant le grand amalgame, l’immense agrégat européen, de la Scandinavie aux pourtours méditerranéens, ne sont-elles pas tout autant constitutives de l’identité culturelle européenne ?

L’identité culturelle européenne serait-elle donc faite de principes particuliers, locaux, régionaux, additionnés à de grandes catégories communes, nées de la sédimentation des traditions universelles des pensées antiques, médiévales et modernes ? Mais alors comment donner de cette identité une définition claire, commune et complète ? Cela paraît en effet impossible…

Une question ouverte

Poser la question de la culture et des cultures européennes, c’est par essence poser des questions ouvertes sans réponses figées… Poser la question de l’Europe des cultures et celle de la culture européenne, c’est y répondre. C’est, en effet, dans la question que s’élabore la réponse : la culture européenne est une question posée, ouverte dont le seul sens est celui de l’interrogation. Interroger la culture européenne c’est être au cœur- même de la question pour mieux la résoudre, pour construire une réponse, à mesure que s’élabore l’interrogation.

La culture européenne, depuis l’Antiquité, résulte d’une réflexion sur elle-même, d’un retour sur ses propres valeurs, certitudes ou errements. Ulysse se confronte à la complexité du monde, en-deçà de la compréhension que peuvent en avoir les dieux de l’Olympe, pour mieux appréhender ce monde, pour en percer le mystère et en apprendre, par l’expérience vécue, par la souffrance ou par le succès, l’intime secret.

La culture européenne est essentiellement habitée par le doute, la contradiction et la contestation. Elle réside précisément dans le fait même de poser la question de la culture, de la réfléchir et de la critiquer, de la relativiser et, partant, de l’universaliser. Car il n’y a aucune réponse figée et limitative, qui puisse fixer l’identité culturelle européenne dans le récit d’un musée, d’un livre ou d’un traité.

L’objectif donc du « Musée européen des Civilisations / Grand Cinquantenaire », serait donc, en creux ou en relief, suivant des thématiques transversales, d’interroger l’Europe des Cultures et les Valeurs de la Culture européenne, au départ des collections du Musée, en laissant les réponses à la libre interprétation de chaque individualité. Qu’il vienne de l’Europe ou d’ailleurs, qu’il soit du nord ou du sud, chrétien, juif, musulman ou athée, qu’il soit jeune ou vieux, homme ou femme,… le visiteur serait amené à être confronté à des questionnements transversaux, génériques, traversant les collections de part en part, sur la base d’une thématique choisie, d’un fil conducteur.

Par exemple, comment me situer au cœur d’une question telle celle de la mort et de la maladie, lorsque je découvre comment cette question est traitée en Europe, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, mais aussi dans les autres civilisations du monde ? C’est dans cette question et dans la réponse qu’y apporte l’universelle humanité que se situe la posture culturelle européenne. Peu importe la réponse, en fait.

De la singularité des cultures du monde entier, à l’universalité de la Culture européenne, il appartient à l’Europe de se remettre en question, d’acquérir cette réflexivité critique qui lui vient de son universalité: universalité des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés fondamentales, universalité de l’évangélisation, d’abord, de la laïcité, ensuite, et surtout, universalité de la diffusion des savoirs et progrès techniques, des connaissances scientifiques et du rationalisme expérimental, etc… Comment appréhender cette universalité sans la remettre en cause ?

Le danger de l’ethnocentrisme est de penser cette universalité en principe préalable à toute fondation ou analyse culturelle, en évidence, en axiome ou en hypothèse généralisée… Le relativisme culturel est le devoir même auquel doit s’atteler un musée européen des civilisations. Au risque, sinon, de s’enfermer dans la certitude mortifère et réductrice de sa propre définition.


Il revient donc à l’Europe, par principe et par tradition, de se remettre sans cesse en question : c’est ce qui fonde même l’idée de progrès. Depuis sa plus tendre enfance, l’Europe connaît révolution politique, révolution scientifique, révolution industrielle, révolution intellectuelle et culturelle. C’est parce qu’elle s’interroge que l’Europe évolue, progresse et finalement s’universalise. L’Europe est révolutionnaire, parce qu’elle est en elle-même une certaine conception de l’histoire et du progrès.

Qu’est-ce donc que l’Europe en un mot ? C’est un certain type de rapport à la tradition, c’est une attitude par rapport à ce qui est établi. La remise en question est le moteur premier de la culture européenne… Au regard des autres civilisations du monde, c’est dans la contestation de la tradition que s’ancre l’idéal européen de culture et donc de progrès. C’est Prométhée qui vole le feu aux dieux. C’est la pomme du jardin d’Eden. C’est Icare et son expérience fatale…  

Ce rapport à la tradition est tout à la fois réflexif et critique, libre et contestataire, avec une conscience historique forte, faite de l’importance du passé au titre constitutif du présent, et de la responsabilité de la tâche de l’avenir, la nécessité de se réinventer sans cesse.

Dans un Musée européen des civilisations, il y aurait donc deux façons de trahir ce qui précède : figer l’Europe dans une identité culturelle limitative (dire ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas, dans un discours aboutissant à une définition close) et la noyer dans une addition de cultures régionales ou nationales.


L’Europe de la Culture ne peut être ni une Europe qui muséalise des cultures-traditions, ni une construction sur une hypothétique identité culturelle figée. La Culture européenne est un principe à la fois de singularité et d’universalité, elle est la vie de l’esprit.

La Culture européenne n’est pas l’addition de cultures-patrimoines-traditions nationales et régionales, appelées diversité culturelle ou, pire, multiculturalisme. Elle n’est pas cette diversité culturelle, additionnée d’une culture européenne commune qui serait, elle aussi, comme un particularisme dans la culture mondiale… La culture européenne n’est pas un patrimoine ou une tradition, c’est une dynamique, un processus qui archive et qui réinvente, c’est un moyen plutôt qu’une fin, une faculté de critiquer et de réfléchir le passé pour mieux concevoir l’avenir, la Culture européenne, c’est l’esprit de la question, de la contestation, de la révolution et de la réinvention.

Constantin Chariot

mercredi 21 mars 2018


The light of Spirit
OLGA DE AMARAL, A RETROSPECTIVE

 

 
OLGA de AMARAL, A RETROSPECTIVE

 
La Patinoire Royale - Galerie Valérie Bach devient, le temps d’une exposition, le temple de l’esprit amérindien et de sa puissante charge spirituelle, en lien direct avec le cosmos, à travers l’œuvre sans âge de l’artiste colombienne Olga de Amaral. Cette artiste inclassable et sa production, dont la force éternelle nimbée d’or, glorieuse et divine matière inoxydable, caractérise son mode d’expression, sont ici présentées, pour une première rétrospective en Belgique, dans une sélection d’une quarantaine d’œuvres exceptionnelles, couvrant les 15 dernières années.
 
Son travail lumineux réexplore la tradition textile de l’Amérique du Sud par la citation directe des couleurs, des formes, des graphismes et des matières du monde précolombien, exploitant la feuille d’or ou d’argent, ainsi que les pigments naturels de l’indigo, de l’amarante, de la turquoise, et des couleurs-terres, dans un vaste feu d’artifice, sur fond de musique andine.
 
Sa grande sensibilité, au service d’une pratique textile minutieuse et d’un goût inné pour les entrelacs, les mosaïques et les nattes, fait d’Olga de Amaral une passeuse entre la spiritualité ancestrale des Incas et notre société contemporaine, livrant en autant d’artefacts un témoignage poignant de cette immense civilisation, disparue dans la première moitié du 16ème siècle.
 
L’œuvre d’Olga de Amaral, caractérisée par une grande homogénéité et une fidélité à elle-même, depuis plus de soixante ans, serait sans doute trahie si l’on n’y voyait qu’une simple manifestation visuelle, flattant nos yeux, sans autre finalité que celle, très décorative, que lui confèrent ses couleurs et ses éclats métalliques. Le travail de tissage, de découpe et de peignage des fibres textiles, tantôt libérées des sangles en lin ou organisées en rideaux filaires tombants, tantôt plongées dans le gesso, ou encore la pratique d’encollage du papier Japon raidi par la corde, sont autant de surprenantes techniques directement inspirées par les savoir-faire ethnographiques des civilisations amérindiennes, et constituent ainsi l’axe structurant d’une production hors du temps, dont on ne sait pas toujours dire s’il s’agit d’œuvres contemporaines ou de vestiges archéologiques.

 
Une grande puissance caractérise ces couleurs et ces tonalités métalliques, allant du bronze à l’argent, et de l’or à la nacre, focalisant notre imaginaire autour d’une forme de pluie de couleurs et de reflets, empruntant cette force à celle des icônes russes ou des stupa bouddhistes. Il y a donc une perspective très spirituelle, quasi sacrée, investie par l’artiste dans ces œuvres murales, condensant dans la finesse du résultat un processus de création s’apparentant à la prière ou la méditation. Chacune des œuvres de Olga de Amaral apparaît, dans son unicité et dans son originalité, comme le récit d’un voyage intérieur, relatant les joies et les peines, les difficultés et les fulgurances, les inquiétudes et les certitudes de cette artiste qui, au faîte de sa gloire et de sa renommée internationale , continue à pratiquer son art comme une chercheuse inlassable et humble.

 
Contempler une œuvre de Olga de Amaral, c’est être ébloui par la lumière d’un esprit.
 
 
 
Exposition « Light of Spirit – Olga de Amaral – a retrospective » à la Patinoire Royale à Bruxelles, du 29 mars au 17 juin 2018