mercredi 11 octobre 2017


Sculpting Belgium



La sculpture en Belgique durant les Trente Glorieuses 1945 - 1975

Exposition jusqu'au 23 décembre 2017

(visuels à la fin de l'article)
 

Contexte et remerciements
 
Attelé à ce projet depuis près de un an, j'ai eu énormément de plaisir à rencontrer les artistes, leurs enfants, leurs veuves, leurs veufs, dans une véritable enquête qui me conduisit d'atelier en atelier, découvrant bien souvent ces endroits puissants de la création, encore en activité, ou conservés en l'état depuis la mort de l'artiste, tels des sanctuaires, mais où tout chante encore l'inspiration et la passion, comme si l'artiste s'était absenté, et qu'il allait revenir.
Beaucoup d'émotion, donc, de belles rencontres, une véritable carrière à ciel ouvert de chefs d'œuvres, parfois, inexploités, oubliés... Ce commissariat fut sans conteste un temps fort de ma carrière à moi, en tant que commissaire, aidé par différentes personnes de bonne volonté. Je dois un remerciement particulier à Nicole d'Huart, conservateur honoraire du Musée d'Ixelles à Bruxelles, qui m'a aiguillé dans mes recherches et qui m'a véritablement servi de "passe-partout" dans mes pérégrinations belges, autour de ce thème attachant.
Valérie Bach et moi avons eu beaucoup de plaisir aussi à concevoir la scénographie, précieusement aidés par David Roulin et André Rodeghiero, du bureau Art and Build Architects, de Bruxelles.
Enfin, le catalogue a été publié, dans une version particulièrement prestigieuse et amplifiée, grâce au mécénat de la Banque Delen.
Que tous soient ici remerciés.

Le génie créateur durant les Trente Glorieuses, un contexte unique et favorable

La Patinoire Royale a donc choisi de rassembler autour du titre « Sculpting Belgium » pas moins de trente-deux artistes belges, majoritairement sculpteurs, des années 45 et suivantes. Ces artistes ont tous, à leur façon, sculpté le visage de la Belgique artistique de l’après-guerre. Si, de prime abord, cette sculpture belge dont la sélection s’étend du début des années 50 à la fin des années 80, présente un visage hétérogène car pluriel, difficilement réductible à un mouvement ou à une esthétique, force est cependant de constater que certaines lignes de force se dégagent : tout d’abord une puissance créatrice absolument phénoménale, liée à la pensée artistique de cette après-guerre, où les recherches formelles explosent, et avec elle l’exploration de nouveaux matériaux, essentiellement l’acier et les plastiques.
Ce génie créateur qui prend possession de ces artistes se caractérise ensuite par une immense liberté, un refus de répéter ce qui précède et, à certains égards, une volonté de faire table rase de ce qui précède. La guerre a constitué une rupture dans l’esthétique Art déco ; par trop apparentée aux régimes fascisants, cette esthétique fait place à l’esthétique moderniste. Se fait jour, alors, une volonté de pousser les recherches vers toujours plus de minimalisme et d’abstraction, déjà annoncées en sculpture avant-guerre, en Belgique, par Oscar Jespers, notamment.
C’est dans ce contexte, d’ailleurs pas seulement belge, mais européen, occidental, que se développe  cette scène sculptée belge des années 50 et suivantes, aux mains de tout jeunes artistes, la plupart nés dans les années 30. Ils ont, en effet, tous environ trente ans dans ces fameuses fifties et, fait nouveau, les femmes prennent rang dans cette génération d’artistes. Tapta, Hilde Van Sumere, Antonia Lambele font partie de ces premières sculptrices, souvent marquées par leur sensibilité et la nécessité de s’affirmer dans ce monde éminemment masculin du marbre et de l’acier.
La plupart fréquente les écoles d’art et se forme à la pédagogie traditionnelle de l’art, pour ensuite s’en distancier.
A cette époque, institutions et galeries belges promeuvent leurs artistes nationaux. Le Ministère de la Culture, encore unitaire, les représente, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Les acquisitions et les commandes publiques ne sont pas rares. Les musées communaux, provinciaux et nationaux constituent leurs collections en accompagnant la création par un soutien aux artistes, via les commissions d’acquisition. De nouveaux musées voient le jour ou s’agrandissent ; il y a une immense effervescence chez les artistes comme chez les mécènes, privés ou institutionnels.
Ensemble, ils créent des réseaux d’amitiés réelles et sincères, s’invitant mutuellement à visiter leurs ateliers ou à honorer de leurs présences les vernissages des uns et des autres.
L’Histoire a qualifié de « Trente Glorieuses » ces années allant de 1945 à 1975, avec le passage à la société de consommation, marqué par la forte croissance d’une Europe qui, quarante ans après l’Amérique, découvre la machinisation, l’industrie de masse, le transistor, la télévision, etc….
Une formidable dynamique
A bien y regarder, et pour synthétiser l’esprit qui règne alors dans cette société de jeunes artistes, on peut retenir que rien ne leur paraît impossible. Ils ont en main un nouveau destin pour cet art abstrait, constructiviste qui a déjà, certes, connu quelques grandes figures avant la guerre, mais qu’ils cherchent à pousser plus loin encore.
L’Exposition Universelle de 58 à Bruxelles, et l’architecture internationale qui s’y illustre, venue de tous les coins du monde, porte en elle cette incroyable conviction d’un progrès porteur d’espoir, à peine dissipées les noirceurs opaques et terrifiantes de la guerre. Le béton armé et précontraint révolutionne les portées, les aciers augmentent les possibles résistances, les aluminiums et les verres étirés métamorphosent les façades, le plexi offre des transparences nouvelles. Le modernisme bat alors son plein, trouvant l’argument de son langage dans un fonctionnalisme qu’avait déjà annoncé le Bauhaus. L’urbanisme se développe sur le modèle américain, Bruxelles connaît les débuts de ce qui sera qualifié plus tard de « Bruxellisation », massacrant bien souvent son patrimoine au profit d’une architecture moderne qui ne produira pas que des chefs d’œuvre. Les premières tours font leur apparition dans le paysage de la ville, dans le quartier nord, le long de l’Avenue Louise ou de la Petite Ceinture.
Chez les Belges, architectes ou sculpteurs, dans un enthousiasme sans précédent, on conçoit pour cette exposition universelle le célèbre Atomium et la Flèche du Génie Civil, prouesses architecturales et d’ingénierie jamais égalées précédemment.
C’est donc dans cette ambiance, teintée de la naïveté entourant le progrès comme facteur émancipateur de l’humanité, que s’expriment ces sculpteurs. Ils portent en eux le rêve d’un monde nouveau où art et technique marchent la main dans la main, dans une course effrénée vers la nouveauté, la singularité et, en un mot, la beauté. Les jeux de plein et de vide, l’étirement jusqu’à la rupture, la massification des volumes, les recherches poussées à l’extrême dans les porte-à-faux ou dans l’empilement des charges, les interrogations du volume, … sont autant de catégories de recherches souvent cumulées qui passionnent ces artistes.
Durant trois décennies que l’on pourrait qualifier d’âge d’or de la sculpture belge, ces sculpteurs, ces peintres aussi, jouent d’une expression artistique nouvelle, réinventant les combinaisons de couleurs et de matières, dans une absolue fantaisie qui n’ignore pas, toutefois, le talent et la maîtrise technique.
La régionalisation belge : le déclin et l’oubli
Arrivent ensuite les années 70, le premier choc pétrolier et les premières fièvres de la régionalisation de l’Etat belge. En quelques années, la Belgique se régionalise, remettant aux régions et aux communautés la charge des matières dites « personnalisables », la culture et les arts, notamment.
Subitement, et en moins de dix ans, tous ces artistes, de Belges, sont ainsi devenus Wallons, Bruxellois ou Flamands. Et c’est une véritable tragédie qui se joue alors sur la scène artistique belge. Les galeristes et les institutions se retirent dans leurs coquilles communautaires, les villes flamandes et wallonnes prennent leurs distances par rapport à Bruxelles, les artistes de cette génération, lentement, commencent à vieillir, et c’en est fini de la belle unanimité créatrice belge ! L’enseignement et la culture passant ainsi sous les coupoles communautaires, il n’y a plus d’échange entre les étudiants, pas davantage qu’entre les professeurs, chacun s’en retourne, qu’il le veuille ou non, à son particularisme local.
C’est là, dans ce mouvement centrifuge de la régionalisation de la Belgique, que se situent les ferments de l’implosion de la scène artistique et culturelle belge de la seconde moitié du XXème siècle. Imperceptiblement, les commandes ralentissent, les commissions d’acquisition se fragmentent et se noyautent, l’idéal national belge, si en pointe lors de l’Exposition Universelle, se dissout lentement, les ambitions s’érodent, l’Etat désormais fédéral n’a plus de mission culturelle, hormis à travers ses deux musées royaux… Les participations à la Biennale de Venise se partagent désormais entre Flamands et Wallons, tous les quatre ans, les maisons d’édition se positionnent et se démarquent de part et d’autre de la frontière linguistique…  La machine à produire et à promouvoir l’art belge s’est volatilisée.
Comment expliquer autrement cette incompréhensible indifférence du public belge et des collectionneurs internationaux à l’égard de cette sculpture d’une infinie richesse et d’une force absolument incontestable ? Comment comprendre que trop d’artistes ici présentés au sein de « Sculpting Belgium » soient ainsi, à ce point, oubliés ?
 Il suffit pourtant de citer quelques sculptures emblématiques situées dans l’espace public pour entendre ces noms souvent oubliés. Oui, il y a eu une sculpture belge promue au sein même du pays et aussi à l’étranger. Mais elle a fini d’exister dans les années 80. Hormis quelques noms qui semblent rappeler quelque chose au plus grand nombre, beacuoup de ces artistes remarquables ont été remisés dans l’ombre de leurs ateliers, pour rejoindre hélas, dans la plus parfaite indifférence, et avant la tombe,  celle de l’oubli dans laquelle ils étaient déjà relégués.
Aujourd’hui, alors que la plupart de ces sculpteurs sont décédés, cette grande exposition sonne comme un appel de tous ces noms formant le véritable panthéon belge d’artistes disparus. Voilà qu’enfin, ces artistes reviennent à la lumière, sortant de l’oubli dans lequel les avait plongés une opinion artistique publique belge bien souvent amnésique et ingrate.
Les ayants droit, veufs, veuves, enfants, proches et amis de ces sculpteurs ont vu dans ce projet une ultime manière de réhabiliter, de réintégrer in extremis leurs chers artistes disparus, avec l’amertume d’un retard coupable. Ils y ont mis l’enthousiasme du sentiment du devoir accompli, enfin, de cet hommage finalement rendu à leur talent.
Car, à regarder comment les autres scènes nationales européennes et occidentales ont valorisé leurs artistes de cette époque, il est à s’interroger sur ce silence assourdissant, sur cette impardonnable indifférence qui qualifient la « promotion par le vide », durant ces années et celles qui suivirent, des artistes belges en général, et des sculpteurs, en particulier.
Tous ces fils et filles du pays, artistes dans l’âme, sont aujourd’hui, par cette exposition, remis en lumière. « Sculpting Belgium » leur doit sa naturelle légitimité, tant il paraît évident que leur soit enfin rendu hommage, largement, dans une vaste revue de leurs productions individuelles.
Confrontant la sculpture avec quelques peintres dont la production éclaire par leurs couleurs les recherches esthétiques des sculpteurs, lesquels travaillent majoritairement des matières à la palette peu lumineuse, cette exposition a volontairement pris le parti scénographique d’une mise en valeur fifties / sixties, un peu comme si cet événement avait lieu dans les années où on l’aurait attendu. C’est ainsi donc un juste retour dans le temps et un juste retour, tout court, que de la proposer au public qui, nous l’espérons, réparera par sa visite une absence trop longtemps subie et impardonnable.






 
ARTISTES PRESENTS A L'EXPOSITION

 

Marcel ARNOULD







Pol BURY

Pierre CAILLE

Gilbert DECOCK

André DEKEIJSER

Yves DE SMET

Reinhoud D’HAESE

Jan DRIES

Francis DUSEPULCHRE

André EIJBERG

Vic GENTILS

Jean-Pierre GHYSELS

Jo DELAHAUT

Monique GUEBELS-DERVICHIAN

Marie-Paule HAAR

Pal HORVATH

Oscar JESPERS

Jean-Paul LAENEN

Antonia LAMBELE

Walter LEBLANC

Jacques MOESCHAL

Félix ROULIN

Emile SOUPLY

Olivier STREBELLE

TAPTA

Camiel VAN BREEDAM

Jan VAN DEN ABBEEL

Guy VANDENBRANDEN

Hilde VAN SUMERE

Marc VERSTOCKT

Ferdinand VONCK

André WILLEQUET

Exposition à voir à la Patinoire Royale jusqu'au 23 décembre 2017
Ouvert tous les jours du mardi au samedi, de 11 à 18 heures.
Catalogue en couleurs, 243 pages, 40 euros
Renseignements 00. 32. (0)2. 533. 03. 96
www.lapatinoireroyale.com
 



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