samedi 7 septembre 2019


« L’Art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme »

André MALRAUX

 

« ENTRER EN ART »

Plaidoyer pour une nouvelle Ecologie de l’Esprit : « Homo artisticus », debout !

Introduction à la séance inaugurale des Journées d’Etudes du Mouvement – lundi 23 septembre 2019 – La Pommeraie – Angers (France)
 


Grotte de Lascaux, Périgueux, France

 

Point n’est nécessaire d’ausculter longtemps le monde et son évolution galopante pour prédire une déréalisation toujours plus grande, dans toutes les catégories de jugement et de pensée : automation des activités humaines, domestiques et industrielles, numérisation et évaporation des supports physiques, programmations électroniques des loisirs (écrans…), urbanisations massives et perte de contact avec le milieu naturel, dénaturation du rapport à l’autre, etc…

A cette lente prise de distance d’avec la réalité, s’ajoute les dangers corrélatifs que sont l’obsolescence de l’homme au profit de la machine, la perte de liberté individuelle, née du big data – tout est vu, enregistré, archivé, stocké de ce qui nous constitue - et la violence sociale consécutive des injustices nées des écarts croissants entre pauvreté massive et concentration de la richesse, entraînant la disparition totale de la classe moyenne.

On le voit partout, sous toutes les latitudes, les progrès hallucinants de l’infotech croisés avec ceux du biotech, annoncent une société toujours plus conditionnée, surveillée, organisée, en vue d’une parfaite adéquation entre le désir et sa satisfaction, entre le comportement et la norme, entre l’objet convoité et le sujet convoitant, entre le matérialisme et le capitalisme. En un mot, l’évaporation du sujet (libre-)pensant est aujourd’hui une visée sans erreur, le cœur de cible du grand projet totalitaire néo-libéral, avec ses cohortes de misères sociales, morales et environnementales.

Le corollaire de ce qui précède se résume aussi en un mot : solitude. Solitude de la conscience, de l’être, déréliction du lien social, à commencer par le plus naturel : la famille. Disparition donc, en somme, de ce qui fait société…

Aux portes de cet Enfer dont Dante n’aurait pas pu concevoir pire image que celle de l’entonnoir dans lequel, nous le sentons, nous glissons à toute allure, que proposer comme sursaut à l’Humanité ? Comment empêcher cet Armageddon qui verra  l’Homme terrassé, privé de sa part divine, vautré, englué dans la matière, vaincu par les plus séduisants artifices de la facilité et de la veulerie ?

Certaines réactions se font jour, dans le tissu associatif, avec de réelles actions pour un retour à la nature, dont le vecteur nutritionnel au ‘tout bio – « no meat » constitue une première étape décisive et universelle, sans doute, sans parler des errements révolutionnaires des gilets jaunes, et autres marches pour le climat, qui sont les signes avant-coureurs d’une lame de fond plus structurelle, traduisant la survenance, dans le cœur de la société, d’une réelle envie de changer de paradigme…

Selon nous, une voie de salut s’offre aujourd’hui à l’homme désireux de modifier les structures du monde, et qui englobe toutes les autres : « Entrer en Art », comme on entre en Résistance.

L’Art, sous toutes ses formes d’expression, est la seule porte de sortie, en ce qu’il est une échelle de la Transcendance, ce qui élève l’homme, et en ce qu’il est le propre de l’homme.  

L’Art est ici à entendre au sens métaphysique : l’art est une imitation de la Nature, et donc une possibilité d’y prendre racine, de s’en-art-ciner… une façon d’être-au-monde. L’Art relève d’une expérience sensible, d’un contact avec l’Autre et le monde par les sens et l’esprit. L’art n’est pas seulement l’expérience esthétique qui nous relie à la notion du Beau (tant mieux si c’est le cas !), c’est aussi une façon de s’accrocher au réel par une action tangible et gratuite, non productive.

A travers l’Art d’hier, d’aujourd’hui, de demain, par sa pratique, par sa contemplation, se vit donc également une expérience ontologique de contact au monde, d’authentification, de vitalisation de notre existence. Entrer en Art, c’est donc entrer en Résistance contre la déréalisation du monde, c’est conserver un équilibre entre la matière et l’esprit.

Il s’agit donc de proposer l’art comme la plus universelle des écologies, une écologie de l’esprit, en ce sens que pour protéger son développement durable, l’esprit a aussi et surtout besoin d’art pour prospérer. L’art est par essence un partage, un élan vers l’autre. Entrer en Art, c’est aussi garantir l’échange entre les êtres, entre les groupes, c’est une façon de tisser du lien, de jeter des ponts, de créer une ouverture à l’autre, dans une société qui se veut toujours plus individualiste et égoïste.

Entrer en Art, c’est donc prendre le parti de la résistance au matérialisme, en protégeant la part divine de l’homme, cette capacité unique qu’il a de symboliser le monde pour lui donner un sens. Toute autre voie le conduit inexorablement vers le précipice de son absurdité : sans art, l’humain est condamné à vivre son destin tragique sans aucune raison.

Il est urgent de marcher pour le Climat, certes. Ce dont il faut prendre conscience, c’est que la mise en danger du climat est une conséquence de la déréalisation galopante du monde sous l’effet impérieux du matérialisme. Il devrait plutôt s’agir d’une marche pour une l’Art en tant qu’écologie de l’Esprit…

Si l’art est donc un moyen de s’enraciner dans le réel, avec une forte présence de la Nature, en vue d’un partage, il est donc aussi Amour : amour de soi, amour de l’autre, amour du monde. Tout est Art, pour autant que l’on aborde l’existence dans cette triade : Art – Nature – Amour, une seule et même énergie, une seule finalité : échapper à la déréalisation du monde et à son absurdité.

L’Art est à comprendre comme une nouvelle voie de l’existence, ce qui fait « art », dans ses plus insignifiantes composantes : dresser une table pour un repas, ramasser une feuille morte aux couleurs d’automne, contempler le visage d’une personne aimée, scruter un cristal de neige, s’émerveiller du chant d’un oiseau…. Infinie omniprésence de l’art, partout, en tout, de la nature à la ville, de l’espace domestique à l’espace public, du matin au soir, dans la joie ou dans la souffrance.

« Entrer en art », comme on entre en religion, donc, avec cette urgence d’une création personnelle qui authentifie notre existence, quelle que soit cette création. On entre en art, comme on entre en Résistance, aussi, contre un monde plat (les plis, les drapés de la peinture et de la sculpture, de tous temps, ont été des actes héroïques de création, par la difficulté de leur donner vie), et vivre en artiste est fondamentalement une vie habitée par le sentiment du mystère des choses et par l'émerveillement.

 
Le décentrement est l’attitude propre à cet être au monde. C’est aussi l’attention avec un grand A, c’est à dire la sortie de soi, le dépouillement et même l’abandon au profit de ce qui émerveille. L’art transporte (à ce titre, j’apprécie mon patronyme).

 
Voilà pourquoi l’art est proche de l’Amour. En cela, il est éminemment thérapeutique pour notre monde. Il ne faut pas oublier que Saint Luc est à la fois patron des peintres et des médecins ! L’art est restaurateur de la Joie, trouvée dans cet abandon de soi au profit de ce qui m'absorbe.
Et les artistes savent que c'est cet abandon qui est paradoxalement la source de toute création.  C’est dans les moments où nous vivons le plus intensément cette dépossession de nous-mêmes que nous avons été aussi le plus nous-mêmes, et les plus créateurs. 




La création puise sa sève dans ce plus intime de moi-même où, dépouillé du JE, dans une sorte d’anonymat universel, je rejoins tout Homme. Voilà pourquoi il est absurde de signer une œuvre. Car une authentique création est faite essentiellement de cette attention, dépossession et décentrement. 

Cette sortie de soi conduit à une ouverture à l’Autre, à la Transcendance.

 

Il est temps que se lève l’ Homo artisticus pour sauver ce qu’il a de plus précieux : son âme et son rapport à l’autre.

 

Constantin Chariot

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