vendredi 6 mai 2011

Musée d'Art Moderne R.I.P.

"Requiescat in pace"


Qu'il repose en paix. C'est le titre d'une récente émission diffusée le 4 mai dernier et proposée par Télébruxelles au sujet de la fermeture brutale et non concertée du Musée d'Art Moderne, partie intégrante des Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique. Présentée par l'incisif journaliste David Courier, l'émission confrontait Michel Draguet, Directeur des Musées Royaux des Beaux Arts, à deux de ses détracteurs: Albert Baronian, célèbre galeriste bruxellois, et Bernard Villers, artiste plasiticien.

Pour voir l'émission cliquer sur:
 http://www.telebruxelles.net/portail/emissions/magazines-a-voir-en-ligne/un-soir-a-bruxelles/14323-musee-dart-moderne-rip- 
en passant les trois premières minutes de pub sur le film Da Vinci Code...

L'argument des tenants d'un Musée d'Art Moderne tient essentiellement dans la nature même d'un musée qui est d'être le lieu de confrontations, de juxtapositions enrichissantes, dans un relativisme constructif où chaque artiste, chaque oeuvre, existent dans leur rapport au tout. Ce que Malraux appelait "le concert des mélodies contradictoires" à l'endroit d'un musée, c'est précisément cette enrichissante comparaison que chaque visiteur, amateur ou spécialiste, dans une démarche contemplative et intellectuelle, fera entre diverses expressions artistiques. C'est la fonction même d'un musée que d'être universaliste. Le Musée d'Art Moderne de Bruxelles permettait autrefois cette approche. Aujourd'hui, il est fermé. Seul Magritte surnage avec une visibilité outrageante, tandis que les autres artistes ont été précipité au fond du gouffre...

Michel Draguet, quant à lui, semble remiser définitivement l'antique concept du Grand Musée fourre-tout, "les grands récits" (?) comme il le dit, qui autrefois, alors que la mobilité et la communication étaient moindre qu'aujourd'hui, convoquaient à leurs cimaises et dans leurs salles toutes les productions d'une époque ou d'une région du Monde, dans une visée résolument générique. Le Musée d'Art Moderne n'a plus aujourd'hui, pour Michel Draguet, de raison d'être puisque les jeunes bougent et s'informent, avec Internet, notamment. Il convient donc de proposer des musées plus "spécifiques", mieux organisés quant à leur "récit", dans un "redéploiement" de collections qui en précise le propos, en manière telle de positionner Bruxelles et la Belgique sur la carte internationale de l'art.

L'effet Magritte est à ce titre éclairant sur la vision de ce grand directeur de musée: il spécifie le discours sur l'art belge autour d'un seul artiste et d'un seul courant. Magritte et le surréalisme sont aujourd'hui le MUST SEE des Musées belges et bruxellois, dans un branding de l'art qui positionne ce musée comme un produit.

Voilà les deux positions antagonistes qui sont à l'oeuvre dans ce débat. Il est à craindre que rien n'arrête la trancheuse qui opère par découpes dans les collections... Le Musée d'Art ancien et les Musées ROyaux d'Art et d'Histoire risqueraient bien d'y passer, eux aussi...

Un futur musée d'art moderne à Bruxelles ? Sur un nouveau site ? Incarné par un geste architectural fort ? On peut toujours rêver... Mais avant de dépenser des sommes insensées pour de tels projets, pourquoi ne pas avoir la même énergie à valoriser et dynamiser les structures existantes ? Pourquoi faudrait-il du neuf, alors que les Musées fédéraux souffrent de graves anémies financières ? A force de trop vouloir travailler dans la néophilie (l'amour du neuf pour lui-même) on fossoye les organismes vivants, vieux et déclassés.

"... dans l'air froid de cette chambre... une âme voltige"
Le Marat assassiné, le Musée assassiné...



Le Marat assassiné de David dont il est fait mention dans l'émission illustre bien selon moi la fin des idéaux universalistes dans les musées belges... En peignant son ami Marat, assassiné dans son bain par Charlotte Cordet, David rend hommage aux idéaux généreux de la révolution anéantis par le geste aveugle et isolé d'une main assassine... Dans ce tableau, c'est le martyr de l'esprit d'ouverture, l'extinction de la lumière morale que peint l'artiste.

Comment ne pas voir dans cette oeuvre que Beaudelaire qualifiait d'"une des grandes curiosités de l'art moderne" la métaphore de l'enterrement (définitif ?) du Musée d'Art Moderne et avec lui d'une vision du musée (lui-même héritier des idéaux de la révolution et des Droits de l'Homme qui consacrent le libre accès à la culture), un musée large, ouvert et curieux qui irradie son message sans contrainte du discours, sans restriction et sans compromission... ?

En conclusion, reprenons ce que disait Beaudelaire au sujet de ce chef d'oeuvre de David:
"Le drame est là, vivant dans toute sa lamentable horreur, et par un tour de force étrange qui fait de cette peinture le chef d'oeuvre de David et une des grandes curiosités de l'art moderne, elle n'a rien de trivial ni d'ignoble. Ce qu'il y a de plus étonnant dans ce poème inaccoutumé, c'est qu'il est peint avec une rapidité extrême, et quand on songe à la beauté du dessin : il y a là de quoi confondre l'esprit. Ceci est le pain des forts et le triomphe du spiritualisme : cruel comme la nature, ce tableau a tout le parfum de l'idéal. Quelle était donc cette laideur que la sainte Mort a si vite effacée du bout de son aile ? Marat peut désormais défier l'Apollon, la Mort vient de le baiser de ses lèvres amoureuses, et il repose dans le calme de sa métamorphose. Il y a dans cette oeuvre quelque chose de poignant à la fois; dans l'air froid de cette chambre, sur ces murs froids, autour de cette froide et funèbre baignoire, une âme voltige."

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