jeudi 24 février 2011

Olivier Debré au Musée d'Ixelles

Je visitais hier soir l'exposition rétrospective d'Olivier Debré au Musée d'Ixelles. Je la recommande pour son intérêt historique et re-contextuel.

Cet artiste lyrique abstrait d'après-guerre a eu son heure de gloire, dans les foyers artistiques parisiens des années 50 - 60. Il est aujourd'hui injustement oublié, particulièrement en Belgique. Cette exposition, dans la foulée de celle du Musée d'Art Moderne de Paris en mai 2010, a le mérite de replacer cette production dans son contexte particulier. Si on  la resitue dans l'époque, cette oeuvre parisienne avait véritablement quelque chose de surprenant, de neuf (si l'on se réfère à la définition a posteriori de la néomanie).
Au sortir de la guerre, les échos du surréalisme naissant se font encore largement entendre. Matta aux Etats Unis est en fusion des genres: surréaliste - abstrait.
Un abstrait lyrique, expressionniste se fait alors jour qui devient avant-garde américaine, très impérialiste, en fait.



C'est à cette avant-garde colonialiste de l'Europe que le "travail" d'Olivier Debré s'est heurté, ce mouvement conquérant d'une Amérique triomphante de son cinéma, qui veut tenir le haut du pavé avec une industrie artistique tout aussi influente (New York, Jackson Pollock, Matta, Jasper Johns, etc... Léo Castelli et consorts) pour mieux fasciner l'Europe en pleine reconstruction. C'est aussi face au danger communiste d'un bloc de l'est en cours de solidification que s'élève cette vague, laquelle amènera rapidement les ingrédients du Pop Art, vision américaine d'un art-(de la)-consommation tout possession de ses moyens.

En visitant cette exposition, donc, j'ai été frappé par la diversité d'expression, servie par une identité de moyens.



Depuis l'urinoir de Duchamp qui, dans les années d'après-guerre, fait déjà figure de maître occulte, en ce qu'il invite à repenser de fond en comble la raison d'être de l'art, s'est développé un axe iconoclaste sur lequel Jackson Pollock, en filiation directe avec le ready made de Duchamp, qui sapait l'idée même de peindre, va surfer. A sa suite, un peu comme dans la variante free du jazz du même nom, vont se jeter une foule de peintres saisissant l'abstrait lyrique comme moyen spectaculaire de peindre, avec expressionnisme, appliquant des couleurs épaissies à dessein, de manière à étouffer le geste pourtant noble et flatteur qui l'applique. Et avec eux, la littérature - fleuve du "geste-signe", du "signe-personnage", du "signe-paysage" (Debré (sic)), etc... Bref, tout ce que l'on écrira sur la pertinence du signifiant au regard du signifié, sur la liberté du geste, l'action painting, la main libre, etc...

Mais à partir de là, comment ne pas ressentir que cette main fait volontairement la bête, qu'elle cherche et travaille en-deçà de ce qu'elle sait, faisant l'ignorante pour avoir l'air plus libre et donc plus spontanée ? Elle fait la bête pour retranscrire des profondeurs subconscientes supposées, mais fort consciemment agencées, cultivées...
Introduites avec violence, parfois, ces couleurs entrent alors dans une application rhétorique et pulsionnelle, voulant faire simple pour faire simple, dans un primitivisme civilisé...

La peinture, l'art demandent une forme de structure, qu'elle qu'elle soit, de grammaire, de solfège, de contrainte technique. L'artiste n'est-il pas celui qui transcende, qui se joue même de la contrainte technique ? Ainsi des cathédrales gothiques, ainsi de la sculpture du Bernin, ainsi de la poésie de Rimbaud. La musique de Bach n'est-elle pas la contrainte-même élevée au rang de poésie mathématique ? Le nouveau roman de Robbe-Grillet est-il aussi intéressant que la prose de Balzac ? Chez Hartung, Soulages, Sol Lewit, une application de peinture, sur des supports unifiés, une technique certaine, certes, mais de dépassement technique, de démonstration de transcendance technique, nullement.

Triompher de la difficulté est bien plus grand qu'en faire sauter la barrière...

Exposition à voir, au Musée d'Ixelles, jusqu'au 15 mai 2011.

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